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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/5

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Le Bracelet de Fer


PROLOGUE

Chapitre I

À TRAVERS LES DUNES


Sur les bords du lac Huron, il y a des endroits fort sauvages, fort isolés ; des dunes, s’étendant à une longue distance : c’est la désolation. Quiconque s’aventurerait dans ces sortes de déserts, risquerait de n’en jamais sortir ; aussi, est-il assez rare qu’on y voit un être humain.

Cependant, vers le milieu du mois de mai de l’an 18…, deux hommes cheminaient à travers les dunes, sur les bords du lac Huron ; deux frères, évidemment, frères jumeaux aussi, probablement, car la ressemblance entr’eux était frappante. Tous deux étaient de haute stature, ils avaient les mêmes jeux de physionomie, les mêmes yeux bruns, la même bouche expressive, les mêmes traits. Ce qui les distinguait l’un de l’autre, c’était, d’abord, leurs vêtements : l’un d’eux était vêtu de bleu, l’autre de gris. Celui-ci portait toute sa barbe ; l’autre n’avait qu’une moustache ; mais on voyait que ce dernier ne s’était pas rasé depuis deux ou trois semaines, lorsque nous faisons connaissance avec lui, car une inculte barbiche lui couvrait le menton.

Vus de loin, ces hommes avaient des allures étranges, presque automatiques. À supposer qu’ils fussent frères jumeaux, l’attachement qu’ils paraissaient avoir l’un à l’autre, pouvait, en quelque sorte, s’expliquer. Ils ne se quittaient pas d’une semelle ; si l’un d’eux faisait un pas de côté, pour éviter un banc de sable ou autre obstacle, l’autre le suivait, et de si près, que c’en était curieux. Si l’un d’eux s’asseyait, l’autre faisait de même… En fin de compte, c’était assez singulier.

Mais, approchons un peu, et observons-les attentivement… Ah ! L’habit bleu, c’est un uniforme de policier, et ce policier est lié à l’habit gris par une paire de menottes.

Ce sont donc un policier et son prisonnier qui cheminent ainsi sur les dunes.

— À quelle distance sommes-nous encore d’un établissement ? demanda soudain, en anglais, le policier, qui se nommait Peter Flax.

À une quinzaine de milles, M. Flax, répondit le prisonnier, dans la même langue.

— À une quinzaine de milles dites-vous ? Ciel ! Nous n’arriverons donc jamais !… Le fait est que je suis presque totalement épuisé. Ce sable mouvant cela fait un dur cheminement !

— Il faut y être habitué, dit le prisonnier. Moi, je pourrais marcher encore longtemps ainsi. C’est que j’ai passé déjà bien des jours et des nuits à errer à travers ces dunes… par goût, s’entend.

— Et cette chaleur intolérable, quoique nous ne soyons qu’au milieu du mois de mai ! Durant le jour, on crève de chaleur, durant la nuit, on gèle. Quel climat, Seigneur !

— Affaire d’habitude, M. Flax, je le répète. Les dunes… on finit par s’y plaire.

— S’y plaire ! Vous badinez, Fairmount, assurément ! fit le policier. Ah ! que je voudrais en avoir fini ! Heureusement, au prochain établissement, nous pourrons nous faire conduire, par eau, au Cap Hurd. Que j’ai hâte !

— Pas moi ! répondit Fairmount, dont le prénom était Paul.

— Cela je le comprends sans peine ! dit, en riant, le policier. Vous savez ce qui vous attend, au Cap Hurd.

— Oui, je le sais ! Je serai conduit en prison, puis jugé et condamné, pour un crime que je n’ai pas commis.

Le policier haussa les épaules.

— Ils disent tout cela ! murmura-t-il.

— J’ai essayé, plus d’une fois, de vous expliquer les faits, M. Flax, et vous n’avez jamais voulu m’écouter, dit Paul Fairmount.

— À quoi sert ? Ce n’est pas moi qui vais vous juger… Mais, croyez-le, mon pauvre Fairmount, vous prouverez difficilement votre innocence.

— Hélas ! je le sais bien ! s’écria Paul. Pourtant, je jure, devant Dieu qui m’entend, que je n’ai pas poussé ce Sauvage dans l’abîme ! Voici : parti en chasse, je tuai un caribou, d’un seul coup de carabine. Lorsque je m’approchai de l’animal que je venais d’abattre, j’aperçus un Sauvage qui, un pied posé sur mon gibier, le réclamait comme sien. Le caribou, pré-