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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/56

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LE BRACELET DE FER

par un certain remue-ménage qui se faisait à la table qu’occupait Judith Rouvain et son frère. De l’endroit où il se tenait, en compagnie d’Albert Delherbe, les propos suivants lui parvinrent :

— C’est lorsque j’ai enlevé mon manteau, tout à l’heure… Il s’est détaché et je l’ai déposé sur la fenêtre du vestiaire, avec l’intention de le remettre, et je l’ai oublié, disait Judith.

— Eh ! bien, hâte-toi d’aller le chercher alors ; répondit Marius Rouvain. Puisque tu l’as déposé sur la fenêtre, il doit y être encore.

— Tu crois ? fit la jeune fille.

— Bien sûr ! Mais, encore une fois, hâte-toi d’aller t’en assurer. C’est un joyau de grande valeur, un pendentif hors de prix et…

— Si quelqu’un l’a vu seulement, sur la fenêtre, je puis y renoncer ! fit Judith. Un joyau de ce prix tenterait fort une personne peu scrupuleuse, tu sais, Marius.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda, à ce moment, l’aubergiste, en s’approchant de la table a laquelle le frère et la sœur étaient assis. Leurs voix s’étant élevées légèrement, cela avait attiré son attention, et aussi celle de plusieurs autres personnes présentes.

— Ma sœur, Mlle Rouvain, a oublié, sur la fenêtre de la chambre qui sert de vestiaire, un pendentif de grande valeur, dit Marius.

— Il doit être encore là où Mlle Rouvain l’a oublié alors, répondit l’aubergiste. Il n’y a que la cantatrice qui ait accès dans cette pièce ; c’est là qu’elle se tient, en attendant le moment de chanter : c’est là aussi que nous lui servons des rafraîchissements, avant son départ.

— Allons voir immédiatement, Judith ! dit Marius Rouvain.

Tous deux se levèrent, et l’aubergiste les suivit. Machinalement, plusieurs se joignirent à eux, entr’autres, Paul Fiermont et Albert Delherbe.

En pénétrant dans le vestiaire, Paul reconnut la pièce où il avait revu l’Oiseau Bleu, alors qu’il avait traité si peu cérémonieusement Anatole Chanty. La jeune fille, qui était assise à table, à boire une tasse de calé, parut excessivement étonnée en apercevant tout ce monde envahissant soudainement son domaine ainsi. Elle se leva et balbutia :

— Qu’y a-t-il ?

— Rien qui doive vous effrayer, Mademoiselle, répondit l’aubergiste. Mlle Rouvain, ajouta-t-il, en désignant Judith, a oublié un pendentif sur la fenêtre ici et elle est venue le chercher.

— Ah ! dit seulement Nilka.

Judith s’approcha de la fenêtre. On la vit se pencher, regarder par terre, puis se relever.

— Mon pendentif n’est plus là où je l’avais laissé. Je ne le trouve nulle part. Qui a accès dans cette pièce ?

— Moi, répondit Nilka. Moi seule. Mais je n’ai pas vu votre pendentif.

— Vraiment ? fit Judith, d’un ton rempli d’insinuations. Il faudrait voir… Vous ne serez pas étonnée, Mlle la chanteuse, si je vous ordonne de vider votre sacoche, en la présence de tous.

— Vider ma sacoche ! fit l’Oiseau Bleu, comme si elle n’avait pas bien compris.

Mais soudain, elle pâlit et porta la main à son cœur : elle venait de comprendre !

— Oui, videz votre sacoche, s’il vous plaît, dit Judith.

— Vous… Vous me… soupçonnez d’avoir pris votre pendentif ? Moi ! dit Nilka, d’une voix remplie de larmes. Oh !

— Si vous n’êtes pas coupable, Mlle l’Oiseau Bleu, pourquoi hésitez-vous à faire ce que je vous… commande ? Je le répète, videz votre sacoche sur cette table, afin que nous voyons tous ce qu’elle contient !

Et comme la jeune chanteuse avait l’air trop abasourdi pour obéir, Paul Fiermont enleva doucement la sacoche de ses mains et il en vida le contenu sur la table, après quoi il tourna la doublure à l’envers, afin que tous pussent constater qu’elle ne contenait rien de plus qu’un mouchoir, un petit porte-monnaie et un crayon.

— Eh ! bien, Mlle Rouvain êtes-vous satisfaite maintenant ? demanda-t-il, d’un ton où grondait la colère.

— Seigneur ! s’écria Judith. Depuis quand vous êtes-vous fait le champion de cette… personne ?

— J’espère que je suis et serai toujours le champion de qui est faussement soupçonné, répondit Paul.

Judith Rouvain haussa les épaules, puis, jetant les yeux autour de la pièce, et désignant les manteaux qui y étaient accrochés :

— Qu’on examiné le contenu des poches du manteau de la chanteuse ! dit-elle. Quelque chose me dit que nous y trouverons des choses… intéressantes.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! s’exclama Nilka, au comble de l’humiliation. Elle serait tombée, se sentant faible tout à coup, si Paul ne l’eut soutenue.

— Voici le manteau de Mademoiselle, fit Mme Dupin, en désignant un long manteau bleu. Je crois, Mlle Rouvain, ajouta-t elle, en lançant un regard de mécontentement à Judith, que vous y chercherez en vain votre pendentif… Et, pardonnez-moi, mais, comment pouvez-vous essayer d’éclabousser la réputation, le caractère d’une jeune fille qui est obligée de gagner sa vie ?… Laissez-moi vous le dire, vous êtes une méprisable créature !

Mme Dupin était fort en colère.

— Retenez votre langue, ma brave femme ! dit Judith, qui littéralement tremblait de rage.

— C’est bon ! C’est bon ! répondit la femme de l’aubergiste. Seulement, je désire ajouter que nous ne tenons plus, ni mon mari ni moi, à vous recevoir sous notre toit. Nous sommes pauvres, il est vrai, mais nous sommes, au moins, honnêtes et justes. L’Oiseau Bleu…

— Voulez-vous vous taire ! s’exclama Judith, en s’adressant à Mme Dupin. Marius, reprit-elle, se tournant du côté de son frère, examine donc les poches du manteau de la chanteuse ; je le répète, quelque chose me dit que ce sera intéressant.

Marius Rouvain, tout en haussant les épaules, obéit à sa sœur. Il fouilla dans les poches du manteau bleu. Soudain, une exclamation