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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/64

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LE BRACELET DE FER

M. Laventurier, Mlle Rouvain, interrompit Nilka, d’une voix tremblante. Et je désire être seule, s’il vous plaît, ajouta-t-elle, en se levant. Veuillez vous retirer.

— Comme vous voudrez, Mlle Lhorians, répondit Judith, en se dirigeant vers la porte du salon. Il était de mon devoir de vous avertir… Tant pis pour vous, si vous ne faites pas de cas de mes avertissements. Et j’espère, acheva-t-elle, que vous aurez vite oublié M… Laventurier, qui, au fond, se soucie de vous… comme de son premier veston.

Ayant lancée cette flèche de parthe, Judith Rouvain, la menteuse… diplômée vraiment, quitta la maison des Lhorians, y laissant le petit Oiseau Bleu, le cœur brisé…

Lorsque Joël revint à la maison, il aperçut, en passant près du salon, Nilka qui, affaissée sur un canapé, sanglotait tout bas.

— Pauvre petite ! se dit-il. Pauvre chère petite !… Elle pleure, parce que ce M… Laventurier n’est pas venu veiller avec elle ce soir, ainsi qu’il le lui avait promis… Mais, je n’ai fait que mon devoir… Et puis, Mlle Nilka finira par l’oublier ce garçon qui la trompait… Pauvre, pauvre chère petite ! Ça me brise le cœur de la voir se désoler ainsi… cependant je n’y puis rien !

Nilka oublierait-elle, ainsi que le croyait, ou du moins, l’espérait Joël ?… Elle est terrible, presqu’intolérable, la première déception d’amour !

Chapitre XIII

ON DEMANDE…


Le notaire Schrybe était très fatigué ; il était aussi très ahuri, très occupé.

C’est que, depuis trois jours, son bureau était littéralement envahi, non seulement par des clients, mais par des gens accourant en réponse à une annonce, parue dans les principaux journaux de la ville ; une annonce ainsi conçue :

« On demande…

On demande un gardien, pour un bateau. Inutile de se présenter, à moins d’être en position de pouvoir disposer de tout son temps à la garde de ce bateau.

Ce n’est pas nécessaire d’être navigateur pour obtenir la position, car le bateau en question est à l’ancre.

Conditions avantageuses. Bon salaire.

Pour autre renseignements, s’adresser au notaire V. Schrybe, 23, rue A———, Québec ».

Cette annonce, nous l’avons dit plus haut, avait attiré un grand nombre de gens, dont la plupart ne se présentaient que par curiosité… Quel était ce bateau ?… Où, dans quelle rivière était-il ancré ?… Et pourquoi exigeait-on un gardien pour ce bateau, puisqu’il était à l’ancre ?… À toutes ces questions, le notaire ne donnait que de vagues réponses, car il savait fort bien que nul de ceux qui se présentaient n’étaient en position de consacrer tout leur temps à la garde du bateau.

Depuis trois jours que cela durait ces allées et venues dans son bureau, ces questions, dictées par la curiosité seulement, et vraiment, le notaire était presqu’à bout de patience. Mais, ce soir, il était résolu de fermer ses portes à cinq heures et demie, au lieu de six heures. La veille, on l’avait retenu jusqu’à sept heures, et c’est Mme Joanette, sa sœur, qui n’avait pas été contente !

— Encore trois quarts d’heure, se dit le notaire en regardant l’heure à l’horloge. C’est que je suis réellement fatigué et j’ai bien hâte de retrouver le confort de mon chez moi !

À ce moment, trois coups précipités furent frappés à la porte du bureau.

— Entrez ! fit le notaire.

La porte s’ouvrit, et Paul Fiermont entra.

— Tiens ! Paul ! fit le notaire Schrybe. Bienvenu, mon garçon, bienvenu !

— Comment va, Notaire ? demanda Paul.

— Ça va comme ci, comme ça, répondit le notaire. Seulement, je me sens fatigué, ahuri… Cette affaire d’annonce…

— Ça ne marche donc pas ?

— Non, ça ne marche pas, je regrette d’avoir à te le dire, Paul.

— Ah !… J’aurais cru pourtant qu’un gardien ne serait pas difficile à trouver. Peut-être que le salaire offert n’est pas suffisant ?

— Le gardien… idéal est très difficile à trouver, au contraire, fit le notaire. Quant au salaire offert, il est certainement suffisant, selon moi ; vingt-cinq dollars par mois, si l’on considère tous les avantages de la position.

— Peut-être êtes-vous trop exigeant, Notaire ? dit Paul en souriant.

C’est Paul Fiermont qui avait fait paraître l’annonce à propos du bateau. Ce bateau, il avait l’intention de le vendre ; mais, en attendant, il désirait y installer un gardien, pour diverses raisons.

Cinq semaines s’étaient écoulées depuis les incidents racontés dans les chapitres précédents, cinq mornes semaines pour notre jeune ami. Il avait eu l’occasion de rencontrer Nilka une fois, une seule, et il avait essayé de lui parler. Mais ses avances avaient été mal accueillies.

— Je vous défends de m’adresser la parole, Monsieur ! lui avait-elle dit.

— Oh ! Mlle Lhorians, ne me permettrez-vous pas de vous expliquer… avait commencé Paul.

— C’est inutile, Monsieur ! Je sais tout… ce que je tiens à savoir… vous concernant… Passez votre chemin, je vous prie !

— Écoutez, Mlle Nilka, écoutez ! Je veux vous dire…

— Monsieur, avait répondu la jeune fille, si vous êtes un gentilhomme, vous n’essayerez pas de me retenir.

— Ô Nilka ! avait murmuré Paul.

Mais déjà, elle s’éloignait, à pas pressés.

Il ne l’avait pas revue depuis…

Il y avait huit jours qu’il était de retour à Québec. Le soir même de son arrivée, il était allé se promener dans la basse-ville, se dirigeant vers la demeure des Lhorians.

En arrivant au No. 115 de la rue C———, Paul avait eu une grande et douloureuse sur-