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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/81

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LE BRACELET DE FER

pourtant, répondit Joël, et… Ah ! J’oubliais ! Mme Brisant m’a chargée de tendresses pour vous, Mlle Nilka.

— Cette bonne Mme Brisant ! Quand viennent-ils nous rendre visite ?

— Elle et M. Brisant doivent venir nous rendre visite dimanche et vous ramener tous deux à Roberval avec eux, dit Joël, en s’adressant à Alexandre Lhorians et sa fille.

— Dimanche ! Dans trois jours alors ! s’écria la jeune fille. Combien j’ai hâte, hâte !… Et ils vont nous ramener à Roberval, père et moi ! Quel bonheur ! N’est-ce pas, petit père, que c’est là une bonne nouvelle ?

— Cela fera très bien mon affaire, dit l’horloger, en s’adressant à Joël. Je disais à Nilka, avant ton arrivée, que j’avais affaire à terre… Un morceau de bois dont j’ai absolument besoin…

— Rien ne vous empêchera de passer quelques jours chez les Brisant, tous deux, fit le domestique. Moi, je m’arrangerai fort bien, tout seul, ici.

Mais, le dimanche, il fut évident, dès l’aurore, qu’on ne devait pas attendre M. et Mme Brisant, car, sur le firmament, noir comme de l’encre, courait de gros nuages gris, menaçants, précurseurs d’un orage électrique. Au loin, très au loin encore, le tonnerre grondait sourdement. L’atmosphère était lourde, sans doute, la pluie tomberait bientôt, torrentielle, puis, ce serait le grand branle-bas des éléments.

Vers dix heures de l’avant-midi, la pluie attendue arriva, puis, des éclairs aveuglants, de longs éclairs, se tordant, ondulant, comme des serpents de feu, zébrèrent le firmament, chaque éclair suivi presqu’instantanément par d’assourdissants coups de tonnerre.

C’était un de ces orages électriques qui jettent la terreur dans les cœurs des plus braves ; un de ces bouleversements de la nature où l’homme se sent bien petit, et où même le moins croyant se dit : « Que Dieu est grand ! Qu’il est infiniment puissant ! Et que nous sommes peu de chose, en fin de compte » ! Instinctivement, l’homme s’anéantit, car il sait que, si Celui qui commande aux éléments veut le foudroyer, Il saura bien l’atteindre, et que c’en sera fait de lui.

L’épave frémissait, gémissait et vibrait sous chaque coup de foudre. À chaque éclair, on entendait ce « click » sinistre, qui semble comme l’avertissement d’une catastrophe prochaine.

Nilka, blanche jusqu’aux lèvres, avait excessivement peur. Un orage électrique avait toujours pour effet de l’effrayer beaucoup, et sur L’épave, perdue au milieu du lac St-Jean, c’était pis encore. La jeune fille se disait que leur bateau était, sans doute, le seul point culminant sur cet immense bassin, et que c’était vers lui qu’allait se concentrer toute l’électricité de l’atmosphère, toute la férocité de l’orage. L’obscurité était devenue telle qu’on se serait cru au milieu de la nuit ; même, les canaris dans leurs cages, s’étaient cachés la tête sous leurs ailes et ils dormaient. Carlo s’était couché aux pieds de Nilka et, à chaque éclair, à chaque coup de tonnerre, il tremblait, puis il se mettait à haleter, comme un chien qui aurait bien chaud, ou qui aurait fait une longue course.

— Vois donc Carlo, Joël ; on dirait qu’il a peur du tonnerre, lui aussi !

— Bien des chiens ont peur du tonnerre et des éclairs, Mlle Nilka, répondit Joël. J’ai connu, moi, un énorme Terre-Neuve qui devenait littéralement fou de peur au premier signe d’un orage.

— C’est terrible aussi, n’est-ce pas ? cet orage, Joël ?… Et lorsqu’on se dit que L’épave est probablement le seul point culminant sur tout le lac St-Jean, en ce moment…

— Tut ! Tut, Mlle Nilka ! Il ne faut pas penser à cela ; il vaut mieux…

Un éclair, qui illumina tout le bateau, accompagné d’un assourdissant coup de tonnerre, interrompit le domestique. Ce fut un de ces coups de foudre où l’on dirait que, du haut du ciel, le Créateur précipite sur la terre des tonnes et des tonnes de cailloux et de rochers.

Instinctivement, Nilka et Joël se jetèrent à genoux, et tous deux se signèrent.

— Récitons le chapelet ! s’écria la jeune fille. Nous sommes dans un immense danger, je le crois fermement ! Prions ! Prions ! Et que Dieu nous préserve ! Père, ajouta-t-elle, en s’adressant à l’horloger, sur qui l’orage paraissait n’avoir aucun effet, nous allons dire le chapelet ; venez vous joindre à nous, je vous prie.

— Le chapelet ? demanda Alexandre Lhorians. Ah ! oui ! C’est dimanche aujourd’hui, en effet.

Le dimanche, à cause de l’impossibilité où l’on était de se rendre à l’église, on récitait le chapelet en famille, sur L’épave. Tous trois se mirent donc à genoux ; mais Nilka ne parvint pas à réciter le chapelet ; chaque éclair, chaque coup de tonnerre l’effrayait tellement qu’elle ne pouvait s’empêcher de crier ou de courir se cacher dans quelque coin de la salle, où, la tête enfouie dans des coussins, les mains collées à ses oreilles, elle essayait de ne pas voir les éclairs, de ne pas entendre le tonnerre.

L’orage fut de longue durée ; il semblait à Nilka que ça ne finirait jamais, et le jour entier le firmament resta couvert de nuages, tandis que la foudre continuait à gronder sourdement.

— Où donc est Carlo ? demanda Nilka, vers la fin de l’orage.

— Je ne sais pas, Mlle Nilka, répondit Joël. La dernière fois que je l’ai vu, il était couché à vos pieds et il tremblait de peur.

Tous deux appelèrent le chien.

— C’est singulier qu’il ait disparu ainsi, n’est-ce pas, Joël ?

— Il a dû se cacher dans quelque coin du bateau ; je vais le chercher, Mlle Nilka, fit le domestique.

Joël se mit à la recherche de Carlo ; il le chercha dans tous les coins du bateau, jusque dans la cale ; le chien n’était nulle part.

— Je ne puis pas trouver Carlo, Mlle Nilka, dit le domestique. Il n’est pas sur le bateau pour sûr.

— Il n’est pas sur le bateau dis-tu, Joël ? Mais… où peut-il bien être ?

— Ma foi, je n’y comprends rien ! À moins