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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/88

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LE BRACELET DE FER

racontait à ses auditeurs attentifs l’accident qui lui était arrivé, un jour, alors que sa chaloupe « L’Oiseau Bleu » avait chaviré.

— Et comment se nomme-t-il ce jeune Sauvage qui vous a sauvé la vie ? demanda Thérèse Lanthier.

— Il se nomme Towaki-dit-Fort-à-Bras.

— Towaki ! Mais, nous le connaissons bien Towaki, ici, à Roberval ! Il vient souvent vendre des légumes, et aussi des paniers, que confectionne sa mère, la vieille Yatcha.

— Towaki est un Sauvage… civilisé, si je puis m’exprimer ainsi, lit Leona, en souriant.

— Instruit par un prêtre missionnaire, ajouta Pierre Laroche, Towaki est, affirme-t-on, un vrai puits de science.

— Père prétend, pourtant, que c’est une grave erreur que de… civiliser un Sauvage, intervint Ève.

— Il vaut mieux les laisser vivre et mourir dans leur ignorance, tu crois, Ève ? demanda Leona.

— Bien… Je ne sais trop… Chose certaine, c’est que leur instruction ne leur sert pas à grand’chose ; elle les rend prétentieux et pédant… Voyez Towaki…

— Towaki est un charmant Sauvage… si je puis m’exprimer ainsi, à mon tour, dit Pierre Laroche. Il a une infinité de qualités, vous savez ; de plus, il pourrait en remontrer à plus d’un d’entre nous, car on prétend qu’il dépense la plus grande partie de son argent en livres instructifs. Oui, Towaki a plus d’un bon point en sa faveur, mes amis.

— Sans doute, répondit Thérèse Lanthier ; cependant, il y a ceci à son détriment : c’est que Towaki-dit-Fort-à-Bras a honte de sa vieille mère.

— Oh ! s’exclama Nilka. Mais, c’est affreux cela ! Avoir honte de sa mère.

— Si vous connaissiez la vieille Yatcha, la mère de Towaki, Mlle Lhorians ! intervint, en riant, Louis Lanthier. Elle est… Elle est…

— Terrible, repoussante, acheva Thérèse. De plus, elle est dangereuse, très dangereuse même, car elle jette des sorts.

— Pour cela, c’est vrai, affirma gravement Pierre Laroche ; Yatcha jette des sorts.

— C’est un fait reconnu que la mère de Towaki jette des sorts, amplifia Louis Lanthier, non moins gravement. Malheur à qui refuse d’acheter un des paniers de la vieille Yatcha ; pour le punir, elle lui jette quelque horrible sort.

Nilka jeta sur les deux jeunes gens et sur Thérèse un regard étonné, puis ses yeux rencontrèrent, pour un instant, ceux de Leona et d’Ève ; toutes deux sourirent, mais elles baissèrent aussitôt la vue, se mordillant les lèvres. Nilka comprit : les gens des environs étaient superstitieux ; ils croyaient aux jeteurs de sorts et choses de ce genre ; ils devaient croire aussi aux loups-garoux, aux feux-follets, etc., etc. Mais Leona et Ève avaient secoué leurs préjugés et superstitions il y avait beau jour. N’habitant plus les régions du lac St-Jean, depuis leur enfance, et n’y venant que pour les vacances de l’été ; côtoyant, à cause de leur position d’institutrices, des gens plutôt éclairés, elles avaient dû essayer, plus d’une fois, mais sans y réussir, d’éclairer leurs parents et leur frère. C’est pourquoi elles n’osaient rien dire, en ce moment ; pour Nilka, cependant, le silence des deux sœurs était assez éloquent.

La cueillette de roses fut splendide ; mais on ne tarda pas trop de revenir chacun chez soi, car il était entendu qu’on se coucherait de bonne heure chez les Brisant et chez les Laroche, afin d’être frais et dispos pour l’excursion du lendemain à la Pointe Bleue.

Chapitre XIII

DE ROBERVAL À LA POINTE BLEUE


Le lendemain matin, entre neuf heures à dix heures, on eut pu voir, sur la route allant de Roberval à la Pointe Bleue, une express peinturée jaune et rouge, à trois sièges, dans laquelle six personnes étaient assises. Sur le siège de devant étaient Raphaël Brisant et Alexandre Lhorians. Raphaël conduisait lui-même ses chevaux, de bonnes grosses bêtes d’un gris pommelé. Sur le deuxième siège étaient Cédulie et Leona ; sur le troisième, Nilka et Ève.

Le temps était splendide. Il ferait bien chaud probablement, vers l’heure du midi ; mais, pour le moment, on endurait facilement un léger manteau.

Nilka était au comble de sa joie. À part les promenades qu’elle avait faites en voiture avec « tante Berthe », lors de son séjour au « château », elle n’avait pas été gâtée en ce genre d’amusement. Aussi, s’en donnait-elle de tout cœur et s’amusait-elle franchement, tout en admirant le paysage vraiment grandiose à travers lequel elle voyageait.

— Que c’est beau ! s’écria-t-elle soudain.

— Oui, c’est beau en effet ! répondit Ève. La nature… rien ne peut surpasser en beauté ce que Dieu a fait. Aimez-vous la campagne, Nilka ?

— Je l’aime, assurément. Mais, j’ai toujours vécu dans les grandes villes : Montréal, Québec…

— Ah ! vous avez demeuré à Québec ? s’écria Ève.

— Québec est très pittoresque, dit Léona. Ève et moi, nous avons fait nos études dans un pensionnat de cette ville, et nous passons à Québec nos vacances de Noël et de Pâques.

— Vraiment ! s’exclama Nilka.

— Oui, fit Ève. Nous sommes invitées « à vie », Léona et moi, chez M. et Mlle Delherbe ; Estelle Delherbe est une de nos compagnes de classe et notre intime amie.

— Estelle Delherbe ? cria presque Nilka. Mais je la connais !

— Vous la connaissez ?… N’est-ce pas qu’elle est aimable et bonne, charmante avec cela ? Chère Estelle !

— C’est-à-dire que je l’ai rencontrée… un soir… à Québec, expliqua Nilka. Nous avons même échangé des serments d’amitié, ajouta-t-elle, en souriant. Mais nous n’avons pas eu l’occasion de nous revoir depuis… Nous avons quitté Québec, père et moi, pour venir demeurer sur L’Épave.

— Eh ! bien, Nilka, assura Léona, quand vous