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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/98

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LE BRACELET DE FER

lança des feux d’artifices ; ces feux d’artifices, Joël les avait trouvés dans une caisse, alors qu’il avait fait l’inspection de L’Épave en compagnie de Nilka ; on se souvient à quelle occasion.

Que devaient penser ceux qui, du rivage, voyaient ces feux d’artifices, « aussi beaux que ceux que j’ai vus à Québec, le jour de la St-Jean-Baptiste, il y a dix ans », assurait L’Conteux ? Sans doute, plus d’un superstitieux se signa, en voyant ces fusées s’élever vers le ciel. Mais, chose certaine, c’est que Noël Malouin, le crédule pêcheur, qui s’en retournait chez lui, ce soir-là, s’arrêta net, et contempla longtemps les flèches illuminées, partant de ce mystérieux bateau L’Épave et se perdant sous la voûte azurée.

— Si c’est des feux-follets ça, aurait-on pu l’entendre murmurer, ma foi c’en est des beaux, et je n’demande qu’à en voir de pareils chaque soir de ma vie !

La veillée se prolongea jusqu’à fort tard.

« Boum ! Boum ! Boum ! »

C’était l’horloge de cathédrale qui sonnait ainsi, annonçant qu’il était trois heures du matin. Nilka pâlit légèrement. Ciel ! Le Stabat Mater ! Il allait résonner, et quelle note lugubre que cette hymne jetterait, au milieu de toute cette gaieté !

À la course, la jeune fille se dirigea vers l’atelier de son père ; mais Joël l’y avait précédée.

— Ne craignez rien, Mlle Nilka, fit-il ; j’ai arrêté le balancier de l’horloge.

Soulagée, elle retourna vers ses invités, qui se préparaient à partir.

— Vive la « Demoiselle de L’Épave » ! cria quelqu’un.

— Vive la « Demoiselle de L’Épave » ! reprirent-ils tous en chœur.

— Et vive M. Lhorians, le gardien de L’Épave !

— Et vive M. Lhorians, le gardien de L’Épave !

Les chaloupes des invités se détachèrent du bateau et se dirigèrent vers Roberval. Leona et Ève restaient à bord. À Pierre Laroche Joël avait remis deux fusées, avec prière de les faire partir, aussitôt que toutes les embarcations auraient atteint le rivage, car L’Épave resterait illuminée jusqu’à ce moment-là.

Enfin, les fusées furent lancées, et aussitôt, Joël, aidé de Koulina, éteignit les fanaux et les lanternes, puis chacun se retira dans sa chambre à coucher.

La soirée promise avait remporté un beau succès, un succès qui assurait à Alexandre Lhorians et à sa fille une grande popularité dans les environs.

Chapitre XIX

UNE SEMAINE SUR L’ÉPAVE


Les huit jours que Leona et Ève passèrent sur L’Épave s’enfuirent à tire d’ailes, pour les trois jeunes filles. Dieu sait si les distractions étaient rares, peu variées, sur ce bateau, ancré à quatre milles du rivage !

Le premier jour, le lundi, on se leva fort tard, puis tout l’après-midi, tout le reste de la journée, on flâna, lisant, sommeillant par moments, causant, faisant un peu de musique. Le soir, une petite excursion sur le lac, dans « L’Oiseau Bleu », aux environs de L’Épave. À dix heures, chacun avait regagné sa cabine.

Le mardi, levées assez tôt, les jeunes filles s’occupèrent d’abord à confectionner quelques mets pour le repas du midi. Koulina était assez bonne cuisinière ; mais, lorsqu’il s’agissait de desserts, Nilka savait qu’il valait mieux qu’elle y mît la main.

Vers les trois heures de l’après-midi, ce jour-là, Joël vint trouver les trois jeunes filles, qui étaient à causer sur l’avant-pont, et leur demanda de monter à son atelier ; il avait quelque chose à leur montrer, un travail qu’il venait de terminer. Ce quelque chose, c’était la croix qu’on devait planter sur la fosse du petit Harl, l’enfant de Koulina. La croix était toute blanche. Sur les bras de la croix, Alexandre Lhorians avait dessiné, en lettres gothiques, le nom du petit Sauvage, ainsi que son âge : Harl. 6 ans et 7 mois.

— Ce sera joli, Joël, dit Nilka, et Koulina va être bien contente. Pauvre femme ! A-t-elle vu cette croix ?

— Oui, Mlle Nilka ; je la lui ai montrée, ce matin. Elle a beaucoup pleuré mais elle est très reconnaissante de ce que nous faisons pour elle, et pour son petit Harl.

— Quand la croix sera-t-elle plantée sur la fosse, Joël ? demanda Ève.

— J’avais pensé à demain, Mlle Laroche… si Mlle Nilka n’y voit pas d’objections, s’entend. Nous pourrions partir d’ici vers les dix heures, demain avant-midi, dîner dans le bois, puis nous rendre chez M. Brisant, car Mme Brisant aimera à nous accompagner à la fosse. Nous pourrions être de retour vers cinq heures demain soir.

— Père ne voudra pas venir, dit Nilka.

— Je le sais bien, Mlle Nilka… et nous ne pouvons pas le laisser seul sur L’Épave… Koulina viendra avec nous, nécessairement… Il faudra arranger cela…

— Je resterai ici, Joël.

— Pas du tout, Nilka ! s’écria Leona. Moi, vous savez, je ne tiens nullement à aller à terre, tandis que vous, vous aimerez à y retourner. Je resterai ici demain ; d’ailleurs, je le préfère de beaucoup. Je suis à lire un récit d’aventures, dans les régions hyperboréennes. Cette littérature m’intéresse tellement que je ne pourrais me décider à y renoncer, pour toute une journée !

Dix heures sonnaient donc, le lendemain matin lorsqu’ils partirent pour le Roc Harl. Dans le fond d’une des chaloupes de L’Épave, que conduisait Joël, la croix avait été déposée. L’autre chaloupe, « L’Oiseau Bleu », était conduite par Koulina ; en face d’elle étaient Nilka et Ève. La Sauvagesse maniait les avirons « comme un seul homme » pour parler comme Joël, et huit milles, quatre pour l’aller, quatre pour le retour, ne lui pèseraient guère aux bras ; elle en avait vu bien d’autres.

Le lac St-Jean était uni comme un miroir ; pas un souffle de brise n’en ridait la surface. On fut vite rendu à destination.