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Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/14

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leurs clartés scintillantes…

Cependant, le boudoir de Mme Dussol et de sa fille était brillamment éclairé. Ce boudoir et les chambres à coucher y attenant étaient situés en arrière de la maison et avaient vue sur le lac des Cris.

Assise dans un fauteuil, non loin d’Yseult, était sa mère, Mme Dussol, âgée de cinquante-cinq ans à peu près. Mme Dussol pleurait ; de temps à autre, on entendait ses sanglots.

— Seigneur, mère, ayez donc la bonté de sécher vos larmes et de répondre à la question que je vous ai posée, pour le moins trois fois déjà : quand auront lieu les funérailles de mon oncle de Vilnoble ?

— Lundi, ma fille, répondit Mme Dussol.

— Pas avant lundi ?

— Non, Yseult, pas avant lundi. C’est aujourd’hui vendredi, tu sais. Ce ne serait pas convenable d’enterrer ton oncle dès demain, puis ce sera dimanche… Les funérailles de ton oncle auront donc lieu lundi, à dix heures de l’avant-midi. Et Mme Dussol se remit à pleurer.

— Vraiment, mère, je ne sais pas pourquoi vous pleurez ainsi ! s’écria Yseult.

— Mon frère, ton oncle… murmura Mme Dussol. Il a été si bon pour moi… et il n’est plus !

— Sa mort n’a pas raison de nous surprendre, dit Yseult. Depuis plus d’un an que mon oncle de Vilnoble était malade, et voilà près de deux mois qu’il n’a pas quitté sa chambre.

— Mais, mon enfant, protesta Mme Dussol, la mort surprend toujours… Et puis ton oncle est mort seul, tout seul, sans personne auprès de lui pour recueillir son dernier soupir, pour lui fermer les yeux… Adrien, revenant de dehors, vers deux heures du matin, jeta un coup d’œil dans la chambre, toujours tenue très sombre, de son maître, et n’entendant aucun bruit, il le crut endormi. Adrien, très fatigué, se jeta sur un canapé, dans le corridor et ce n’est qu’à trois heures qu’il s’éveilla… Alors… Alors… Mme Dussol éclata en sanglots.

— Allez-vous pleurer ainsi tout le reste de vos jours, parce que mon oncle est mort ! cria presque Yseult. C’est déjà assez ennuyant cette maison… avec ce cadavre, en bas…

— Yseult ! Yseult ! N’as-tu pas de cœur, ma fille ?… Comment peux-tu parler ainsi ?… Ton oncle, qui a été si bon pour toi !… Ce qui me désole, ce sont ces détails qui me sont parvenus : la manière dont on a trouvé mon frère, à moitié hors de son lit… Mon Dieu ! Mon Dieu !

— Ah ! cessez, mère, voulez-vous ! Ça m’ennuie de vous entendre vous lamenter, et je vais…

— Yseult, ton oncle a été si généreux pour nous !… Quand ton père mourut, ruiné par de malheureuses spéculations, il me laissa sans moyens de subsistance et chargée d’une enfant en bas âge : toi, Yseult. Alors, ton oncle, mon frère…

— Oui ! Oui ! Je la connais celle-là ; c’est la vieille chanson, le vieux refrain, répondit Yseult, en haussant les épaules. Mon oncle de Vilnoble nous a recueillies, vous et moi, etc. etc. Mais, en retour, nous avons pris bien soin de lui ; vous le savez, mère, je l’ai soigné avec dévouement. Lundi… Lundi, j’aurai ma récompense, une royale récompense !

— Ta récompense ? Quelle récompense ? Que veux-tu dire, Yseult ? demanda Mme Dussol.

— Voyons, mère, vous le savez bien que mon oncle de Vilnoble a fait de moi son héritière ! Son testament est entre les mains du notaire Champvert depuis près d’un mois, et j’en connais le contenu. Vous aussi d’ailleurs !

— Ah ! oui, murmura Mme Dussol. Puis elle ajouta : Pauvre Hugues !

— Comment ! Vous dites ? s’exclama Yseult, les yeux remplis de colère.

— Je dis : pauvre Hugues ! répéta Mme Dussol. C’est lui qui, de droit, devrait hériter des biens de son père…Hugues a toujours été parfait pour moi, et en toute circonstance, il m’a traitée avec la plus grande courtoisie ; c’est pourquoi je regrette et regretterai constamment qu’il ait été déshérité.

— J’aurais peut-être été portée à le plaindre, moi aussi, mon cousin Hugues… il y a deux ans, dit Yseult. Depuis, les circonstances ont changé et vraiment…

— Yseult, dit soudain Mme Dussol, j’avais cru ; même, j’aurais juré que ton cousin ne t’était pas indifférent… jadis…

— C’est vrai, je l’avoue, Hugues ne m’était pas indifférent… jadis… même, je crois que je l’aimais autant qu’il est dans ma nature d’aimer. Mais aujourd’hui, Hugues, je le déteste !

— Yseult ! protesta Mme Dussol.

— Écoutez, mère, vous n’avez jamais connu la cause de la querelle entre mon oncle de Vilnoble et son fils, n’est-ce pas ?

— Non, jamais, Yseult !

— Eh bien, je la connais, moi, et je vais vous la dire…

— Tu la connais, dis-tu la cause de cette malheureuse querelle ! s’écria Mme Dussol. Ton oncle t’aurait-il mise dans ses confidences ?

— Oh ! non ! répondit la jeune fille. Mais, j’ai eu connaissance de la conversation qui a eu lieu entre mon oncle de Vilnoble et Hugues, moins d’une heure avant que celui-ci eut quitté les Peupliers, pour n’y plus revenir… J’étais dans la bibliothèque, cachée par une portière…

— Yseult ! cria, pour la deuxième fois, Mme Dussol.

— Et ! bien fit Yseult. N’auriez-vous pas fait comme moi, mère, si vous aviez entendu prononcer votre nom par M. de Vilnoble, et crié par son fils ?… Mon oncle voulait obtenir de Hugues la promesse qu’il m’épouserait… sous peu ; à cette condition seulement, il ferait de Hugues son héritier.

— Ah ! fit Mme Dussol. Et Hugues ?

— Hugues refusa net. Il préférait, dit-il à son père, s’en aller gagner sa vie, plutôt que de rester aux Peupliers, à de telles conditions… Sa cousine Yseult était très bien, comme cousine ; comme femme, jamais ! Elle n’était pas du tout dans son genre, et patati et patata… Est-ce surprenant, mère, que je le déteste mon cousin Hugues, depuis