Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/125

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Je n’ai vécu que pour jouir et pour me laisser enrichir ; et tu as béni ma conduite irréprochable et ma vie louable en m’accordant femmes, enfants, chevaux et valets, les plaisirs du corps et les jouissances de la vanité.


Et voilà que j’ai tout perdu, tout, et je suis devenu un objet de rebut


Mes concurrents se réjouissent de ma ruine et mes amis se détournent de moi ; ils me refusent jusqu’aux conseils inutiles, jusqu’aux reproches ; ils m’ignorent. Mes maîtresses m’éclaboussent avec les voitures achetées avec mon argent.


La misère se referme sur moi et, comme les murs d’une prison, elle me sépare du reste des hommes. je suis seul et tout est noir en moi, hors de moi.


Ma femme, qui n’a plus d’argent pour se farder et se déguiser le visage, m’apparaît dans toute sa laideur. Mon fils, élevé pour ne rien faire, ne comprend même pas l’étendue de mon malheur, —l’idiot ! — les yeux de ma fille coulent comme deux fontaines au souvenir des mariages manqués.


Mais que sont les malheurs des miens auprès de mon infortune ? Là où j’ai commandé en maître, on me chasse quand je viens m’offrir comme employé


Tout est pour moi puanteur et ordure dans mon taudis ; mon corps endolori par la dureté du lit et mordu par les punaises et les insectes immondes ne trouve plus de repos, mon esprit ne goûte plus le sommeil qui apporte l’oubli.


Oh ! qu’ils sont heureux les misérables qui n’ont