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Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/160

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Les temps de Mammon sont revenus ; le cochon d’or foule aux pieds Sabaoth, le dieu des armées… — Maudit soit le jour où je donnai la Raison aux hommes ! J’emplissais alors l’univers de ma force et de ma personne, je lançais la foudre, je déchaînais les vents, je soufflais la tempête, je soulevais les vagues des mers, j’ébranlais la terre dans les profondeurs de ses entrailles. Mais, ainsi qu’un enfant sans pitié arrache les pattes et les ailes d’un insecte, la Raison m’arracha, une à une mes fonctions ; elle les octroya aux forces de l’inconsciente Nature. Je restais encore la providence qui asseyait les rois sur les trônes et déversait les richesses sur les hommes : mais l’inhumaine Raison enseigne que les rois sont rois, que les grands sont riches, parce que la masse humaine est bête et lâche et se laisse passivement commander et exploiter. La Raison en grandissant m’a rapetissé. La Raison emplit l’univers. — Maudite soit la Raison ! J’étais diminué, affaibli ; mais les âmes ignorantes, confuses, timorées, avaient encore besoin de moi ; j’existais pour elles. J’étais celui qui seul avait le droit d’être infaillible. Et toi, vieillard imbécile, tu m’as dépouillé de ma dernière prérogative, tu m’as précipité de mon trône, tu as fait de Dieu un pantin dont tu tiens les ficelles : c’est par tes yeux que je dois voir, c’est par ta bouche que je dois mentir. — Vieillard vaniteux et impie, sois maudit ! Race humaine, qui m’a renié après m’avoir créé à ton image, sois maudite ! Maudit, maudit soit celui qui a créé les hommes !… Ah ! si je pouvais lapider, écraser les fils de la terre, si je pouvais. les submerger,