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Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/121

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l’originalité.

d’observation, intelligence vive et profonde des réalités humaines, est-ce là tout ce qui constitue l’originalité supérieure de Molière ? Non encore. Car le don le plus rare que la nature lui ait accordé, celui qui, au même degré, avec les mêmes qualités réunies, n’a jamais reparu dans un ensemble d’œuvre littéraire, c’est le don de la gaîté. Quel ravissement incomparable que ce rire de Molière, rire sonore et clair, franc et viril, qui passe par toutes les gammes, depuis l’explosion bruyante de la joie la plus folle jusqu’au plus discret sourire d’une mélancolie résignée, ce rire consolant et salubre, même lorsqu’il semble s’échapper avec peine, comme par un hautain défi au désespoir, de lèvres contractées par la douleur, ce rire tour à tour implacable et attendri, vengeur et compatissant, léger et profond, toujours naturel, chaleureux, humain ! Oui, c’est bien là le rire incorrigible, le rire fortifiant, celui de notre race, ce rire français que les étrangers ne comprennent pas toujours, et qui éclate, dans un seul homme, par une manifestation unique, avec toutes ses meilleures qualités !

Si on le compare au bon rire de tous ses devanciers, au Moyen âge et à la Renaissance, on le trouvera moins grossier et moins brutal que chez la plupart des conteurs et farceurs, aussi fin et moins sec que celui de Pathelin, aussi large, abondant, chaleureux, plus délicat que celui de Rabelais, moins atténué et refroidi par un dilettantisme égoïste que celui de Montaigne. Dans son âpre sincérité et sa raison mordante, il retentit souvent avec des éclats de grave ironie dignes de Pascal et des Provinciales.