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Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/165

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pensée et morale.

Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante afin d’être savante,
Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait,
Elle sache ignorer les choses qu’elle sait.
De son étude enfin je veux qu’elle se cache
Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots
Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.

C’est ce que pensait déjà de son temps Montaigne quand il rencontrait des dames alléguant Platon et Saint Augustin et qu’il se murmurait in petto les vers inconvenants de Juvenal : Concumbunt docte, etc..

La doctrine qu’on ne leur a pas mise en l’âme leur est demeurée en la langue. Si les bien nées nous croient, elles se contenteront de faire valoir leurs propres et naturelles richesses… C’est qu’elles ne se connaissent point assez, le monde n’a rien de plus beau ; c’est à elles d’honorer les arts… Que leur faut-il pour vivre aimées et honorées ? Elles n’ont et n’en savent que trop pour cela ; il ne faut qu’éveiller un peu et réchauffer les facultés qui sont en elles… Si toutefois il leur fasche de nous céder en quoi que ce soit, et veulent par curiosité avoir part aux livres, la poésie est un amusement propre à leur besoing… Elles tireront aussi diverses commodités de l’histoire. En la philosophie, de la part qui a trait à la vie, elles prendront les discours qui les dressent à juger de nos humeurs et conditions, à se défendre de nos trahisons, à régler la témérité de leurs propres désirs, à ménager leur liberté, allonger le plaisir de la vie et à porter humainement l’inconstance d’un serviteur, la rudesse d’un mary et l’importunité des ans et des rides, et choses semblables… Quand je vois les femmes attachées à la rhétorique, à la judiciaire, à la logique, et semblables drogueries si variées et inutiles à leur besoing, j’entre en crainte que les hommes qui le leur conseillent le facent pour avoir loy de les régenter sous ce tiltre.

Ne dirait-on pas déjà la défiance de Clitandre vis-à-vis des Trissotins et des Vadius ?