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Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/173

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pensée et morale.

dans sa misère, lui aussi franc et loyal que Dorine, de ne pouvoir se délier la langue devant ce terrible maître dont le plaisir est de l’humilier :

Il me vaudrait bien mieux d’être au diable que d’être à lui, et il me fait voir tant d’horreurs que je souhaiterais qu’il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose : il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie ; la crainte en moi fait l’office de zèle, bride mes sentiments et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste.

Ce rôle étonnant de Sganarelle, qui, d’un bout à l’autre excite le rire en même temps qu’il éveille toujours la réflexion, c’est la protestation permanente des sentiments naturels et de la conscience universelle contre les paradoxes brillants, du dilettantisme intellectuel et de l’oisiveté corrompue. « Le peuple a des opinions très saines, disait Pascal… les demi-savants s’en moquent et triomphent à montrer là-dessus sa folie ; mais, par une raison qu’ils ne pénètrent pas, il a raison ». Et Robespierre dira : « L’athéisme est aristocratique ». Il est clair que, comme toujours, en mêlant aux plus justes raisonnements de ce Sancho asservi les superstitions les plus grossières, en lui faisant clore ses discours édifiants par des incidents grotesques, comme sa chute après l’exposition naïve des causes finales, Molière a voulu à la fois montrer le personnage dans toute sa réalité, éviter les allures ennuyeuses du sermon ou de la dissertation, et se donner, sous la protection du franc rire, le droit de dire toute sa pensée. Comment est-il possible de s’y tromper à la représentation, et même à la lecture ? Qui n’en sort