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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t4, 1925.djvu/59

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LETTRES 1881-1882

bénissais l’austère M. de Tauzia[1] qui me chassait dans votre chambre claire où éclatait la note d’un fauteuil jaune, jaune, très jaune !

Ici, je n’ai pas encore vu le musée. Je n’ose entrer nulle part. Je sais si peu d’allemand. J’arrange mes phrases avec une lenteur ridicule, puis, au diable ! ce que je comprendrais dans un texte, je ne le comprends plus dans la bouche d’un être, on parle trop vite.

Mais, que de marchands de cigares blonds ! Et quel ruisseau ignoble que la Sprée ! Et les beaux soldats que les soldats du roi Guillaume ! La comtesse Hacke trouve que ce ne sont pas de beaux hommes. Pendant la guerre elle a vu bien des Français, et elle les trouvait bien plus beaux (!) J’ai entrevu M. de Bismarck hier. Je m’ennuie bien au fond. J’élargis chaque jour le cercle de mes excursions par la ville. Mais je ne m’aventure pas trop ; j’ai peur de me perdre et de ne pas me trouver à sept heures et demie pour la lecture chez la comtesse Hacke. Vous figurez-vous la chose ?

Au fond je suis heureux et j’ai bien de la chance. Quoique en résumé je n’aie pas changé d’opinion et que je pense toujours que la vie est une chose

  1. Vicomte Both de Tauzia, conservateur du département des peintures et des dessins au musée du Louvre.