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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/149

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BERLIN. LA COUR ET LA VILLE

de Berlin. J’ai dit vivante, il faudrait dire viveuse. Quel spectacle grotesque et navrant, que ce coin viveur ! Sur le pas des portes, cinq à six pauvresse accroupies tiennent un stock d’allumettes sur leurs genoux et gémissent : « Des allumettes, des allumettes. » Des voyous vous importunent de la même offre en vous appelant : « Monsieur le baron, monsieur le docteur, monsieur le professeur. » Un homme même, affaissé sur des béquilles, vend de ces allumettes. Mais le plus étonnant à cette heure est un torse enchâssé dans une caisse à roulettes et circulant en s’aidant des mains : il porte une grande barbe blonde et des lunettes et vend des allumettes. Tout ce monde est loin pendant le jour ; sa place dans le coin viveur n’est permise que dès dix heures. Ce qui est permis la nuit et devrait l’être le jour, c’est la vente ambulante des oranges. Elles sont là, à cette heure, les charrettes arrêtées, tandis que les bons chiens, sur leur torchon, dorment d’un œil.

Et le demi-monde (car c’est jusque-là que le tact berlinois a fait descendre le mot de M. Dumas) bat le trottoir, sans se retourner. En hiver, c’est terrible. Heureusement, brille là-bas la lanterne du marchand de saucisses chaudes.