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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/89

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BERLIN. LA COUR ET LA VILLE

en français, une de ces impertinences impossibles en allemand et qui font, à l’étranger, le charme de nos comédies ; et comme il va de soi que ces ripostes, surtout dans une conversation française, ne sauraient être provoquées que rarement, pour ne pas dire jamais, l’impératrice force l’occasion et y répond, sans plus de conséquence d’ailleurs. Un soir, au thé, racontant n’importe quoi d’extraordinaire, l’impératrice ajouta : « Bref, les cheveux m’en dressaient sur la tête. » Le chambellan présent, gros personnage sans malice, se mit à rire complaisamment. Et l’impératrice, saisissant l’occasion, le foudroya du regard, en disant d’un trait, et si vite que probablement personne ne comprit et que tout le plaisir fut pour elle seule : « J’avoue que c’est le dernier des accidents qui puisse m’arriver », faisant allusion on devine à quoi[1].

On ne peut pousser plus loin la passion de notre langue que ne fait l’impératrice, qui l’impose comme une autre souveraine, en toute occa-

  1. Ce mot de l’impératrice était évidemment un vieux souvenir de Laforgue : on trouve, en effet, dans son Agenda de 1883, à la date du jeudi 3 mai. « J’avoue que c’est la dernière des choses à laquelle je serais exposée. » Le mot avait, sans aucun doute, été dit par l’impératrice ce jour-là. (Cf. plus loin : Agenda).