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Page:Lagrange - Œuvres (1867) vol. 1.djvu/51

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de m. lagrange

terme sans douleur, sans regrets, et par une pente bien douce. Oh ! la mort n’est pas à redouter, et lorsqu’elle vient sans douleur, c’est une dernière fonction qui n’est ni pénible ni désagréable. Alors il leur exposait ses idées sur la vie, dont il croyait que le siége est partout, dans tous les organes, dans tout l’ensemble de la machine, qui, chez lui, s’affaiblissait également partout et par les mêmes degrés. Quelques instants de plus, il n’y avait plus de fonctions nulle part, la mort était partout : la mort n’est que le repos absolu du corps.

Je voulais mourir, ajouta-t-il avec plus de force, oui, je voulais mourir, et j’y trouvais du plaisir ; mais ma femme n’a pas voulu : j’eusse préféré en ces moments une femme moins bonne, moins empressée à ranimer mes forces, et qui m’eût laissé finir doucement. J’ai fourni ma carrière, j’ai acquis quelque célébrité dans les Mathématiques. Je n’ai haï personne, je n’ai point fait de mal, et il faut bien finir, mais ma femme n’a pas voulu.

Comme il s’était fort animé, surtout à ces derniers mots, ses amis, malgré tout l’intérêt qu’ils mettaient à l’entendre, voulaient se retirer ; il se mit à leur faire l’histoire de sa vie, de ses travaux, de ses succès, de son séjour à Berlin (où plusieurs fois il nous avait dit qu’il avait vu de près un Roi), de son arrivée à Paris, de la tranquillité dont il y avait joui d’abord, des inquiétudes que lui avait ensuite causées la révolution, de la manière grande et inespérée dont il en avait été dédommagé par un Prince plus grand, plus puissant (il aurait pu dire encore plus en état de l’apprécier), qui l’avait comblé d’honneurs et de dignités, et qui, tout récemment encore, venait de lui envoyer le grand cordon de l’Ordre de la Réunion ; ajoutons enfin qui, après lui avoir donné, pendant sa vie, les preuves non équivoques de la plus haute