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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/120

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Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ?
L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être,
Ou l’a-t-il accepté ?
Sommes-nous, ô hasard, l’œuvre de tes caprices ?
Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta félicité ?

Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime,
Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème,
Plaisirs, concerts divins ;
Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles,
Montez, allez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins !

Terre, élève ta voix ; cieux, répondez ; abîmes,
Noir séjour où la mort entasse ses victimes,
Ne formez qu’un soupir !
Qu’une plainte éternelle accuse la nature
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir !

Du jour où la nature, au néant arrachée,
S’échappa de tes mains comme une œuvre ébauchée,
Qu’as-tu vu cependant ?
Aux désordres du mal la matière asservie,
Toute chair gémissante, hélas ! et toute vie
Jalouse du néant !

Des éléments rivaux les luttes intestines ;
Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines
Qu’entassèrent ses mains,
Attendant sur le seuil les œuvres éphémères ;
Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères,
Les germes des humains !