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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/160

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MÉDITATIONS

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos :
Le flot plus attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
 » Suspendez votre cours !
» Laissez-nous savourer les rapides délices
 » Des plus beaux de nos jours !

» Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
 » Coulez, coulez pour eux ;
» Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
 » Oubliez les heureux.

» Mais je demande en vain quelques moments encore,
 » Le temps m’échappe et fuit ;
» Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore
 » Va dissiper la nuit.

» Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
 » Hâtons-nous, jouissons !
» L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
 » Il coule, et nous passons ! »