Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
POÉTIQUES.

Mon frêle esquif est dévoué ;
Et pourtant, à la fleur de l’âge,
Sur quels écueils, sur quel rivage
Déjà n’ai-je pas échoué ?
Mais d’une plainte téméraire
Pourquoi fatiguer le destin ?
À peine au milieu du chemin,
Faut-il regarder en arrière ?
Mes lèvres à peine ont goûté
Le calice amer de la vie,
Loin de moi je l’ai rejeté ;
Mais l’arrêt cruel est porté :
Il faut boire jusqu’à la lie !
Lorsque mes pas auront franchi
Les deux tiers de notre carrière,
Sous le poids d’une vie entière
Quand mes cheveux auront blanchi,
Je reviendrai du vieux Bissy
Visiter le toit solitaire,
Où le ciel me garde un ami.
Dans quelque retraite profonde,
Sous les arbres par lui plantés,
Nous verrons couler comme l’onde
La fin de nos jours agités.
Là, sans crainte et sans espérance,
Sur notre orageuse existence
Ramenés par le souvenir,
Jetant nos regards en arrière,
Nous mesurerons la carrière
Qu’il aura fallu parcourir.

Tel un pilote octogénaire,
Du haut d’un rocher solitaire,