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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/508

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MÉDITATIONS


Et toi, mon fier Sultan, à la crinière noire,
Coursier né des amours de la foudre et du vent,
Dont quelques poils de jais tigraient la blanche moire,
Dont le sabot mordait sur le sable mouvant,

Que fais-tu maintenant, cher berceur de mes rêves ?
Mon oreille aimait tant ton pas mélodieux,
Quand la bruyante mer, dont nous suivions les grèves,
Nous jetait sa fraîcheur et son écume aux yeux !

Tu rengorgeais si beau ton cou marbré de veines,
Quand celle que ma main sur ta croupe élançait
T’appelait par ton nom, et, retirant tes rênes,
Marquetait de baisers ton poil qui frémissait !

Je la livrais sans peur à ton galop sauvage !
La vague de la mer, dans le golfe dormant,
Moins amoureusement berce près du rivage
La barque abandonnée à son balancement :

Car, au plus léger cri qui gonflait sa poitrine,
Tu t’arrêtais tournant ton bel œil vers tes flancs,
Et, retenant ton feu dans ta rose narine,
De l’écume du mors tu lavais ses pieds blancs.

Penses-tu quelquefois, le front bas vers la terre,
À ce maître venu dans ton désert natal,
Qui parlait sur ta croupe une langue étrangère,
Et qui t’avait payé d’un monceau de métal ?

Penses-tu quelquefois à la jeune maîtresse
Qui pour parer ta bride, houri d’un autre ciel,
Détachait les rubis ou les fleurs de sa tresse,
Et dont la main t’offrait de blancs cristaux de miel ?