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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/216

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Oh ! si vous aviez vu ces grands champs de batailles
Couverts de noirs corbeaux fouillant dans des entrailles,
D’aigles désaltérés dans de noirs lacs de sang,
D’un peuple tout entier dans son trépas gisant,
De crânes décharnés où pend la chevelure,
Où le reptile niche, où la brise murmure,
Et d’ossements blanchis aux fraîcheurs de la nuit
Qui du sable foulé sous les pieds ont le bruit !
Oh ! si vous aviez vu de grands troupeaux d’hyènes
Emporter en hurlant ces nations humaines,
Et, l’herbe que le vent déroulait à grand pli
Ondoyer sur les os d’un peuple enseveli !
Vous frémiriez d’horreur, et vous rendriez grâce
D’être enfants du désert et nés d’une autre race !… »

Les amants frémissaient, et disaient au vieillard  :
« Ces peuples de méchants vivent donc au hasard ?
Les pères décrépits des tribus insensées
Ont donc dans leur esprit renversé leurs pensées ? »
— Les pères, reprit-il, de ces vastes tribus,
Hélas ! depuis longtemps ne les gouvernent plus :
Ce doux pouvoir du sang, dicté par la nature,
Abdiqua le premier sa sainte dictature.
Naissant, mourant avec les générations,
Il ne suffisait plus au joug des nations ;
Le monde, en vieillissant, perdit ses lois prospères ;
Des enfants aujourd’hui nul ne connaît les pères !
Oui, la famille même a brisé ses liens ;
La brute sait ses fils, l’homme ignore les siens.