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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/101

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TOUSSAINT LOUVERTURE.

Et qui, voyant la tombe où le noir se repose,
Ne se fût pas levé tard pour si peu de chose ?
Non, c’était pour laisser à ses fils, après lui,
Le jour dont pour ses yeux le crépuscule a lui ;
C’était pour qu’en goûtant ces biens qu’il leur espère,
Dans leur indépendance ils aimassent leur père,
Et qu’en se souvenant de lui dans l’avenir,
Ils mêlassent leur gloire avec son souvenir.

albert, bas à Isaac.

Il pleure.

isaac, bas à Albert.

Il pleure.Et moi mes yeux se mouillent à ses larmes.

toussaint, s’apercevant que sa sensibilité l’a trahi.

Voilà comme il parlait quand il courut aux armes.

leclerc.

Continuez.

toussaint.

Continuez.Ses fils ! ah ! je les vois encor
Grandir autour de lui couvés comme un trésor ;
Ils étaient deux — l’un noir, l’autre brun de visage,
Égaux par la beauté, mais inégaux par l’âge.
L’un se nommait Albert, l’autre Isaac. Tous deux
Répandaient la lumière et la joie autour d’eux.
Ses genoux, de leurs jeux continuel théâtre,
Rassemblaient sur son cœur le noir et le mulâtre ;
Baisant leur doux visage, il aimait tour à tour,
Albert comme sa nuit, l’autre comme son jour,
Et cherchait sur leurs fronts, sous ses larmes amères,
La ressemblance, hélas ! de leurs deux pauvres mères.
L’un était son Albert ; Albert, son premier né,
Aux nobles passions semblait prédestiné ;
Toussaint aimait en lui les reflets de son âme,
L’orgueil dans ses regards jetait de loin sa flamme ;