Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
DES ESCLAVES.

immiscions entre le colon et l’esclave. Messieurs, du droit qui nous a faits libres nous-mêmes ! La justice nous appartient-elle ? pouvons-nous en faire une concession à qui que ce soit ? Non ! toute idée de justice et de vérité inspirée par Dieu à l’homme lui impose des devoirs en proportion avec ses lumières. Les droits du genre humain sont comme les vêtements du Samaritain dépouillé sur sa route ; il faut les rapporter pièce à pièce à leur maître, à mesure qu’on les retrouve, sans quoi on participe aux blessures que l’humanité a reçues et aux larcins qu’on lui a faits.

Que n’a-t-on pas dit, que n’a-t-on pas pensé de nous ! Nous sommes des révolutionnaires, la pire espèce des révolutionnaires, des révolutionnaires sans péril, des lâches qui, n’ayant rien à perdre, ni fortune ni vie dans les colonies, voulons y mettre le feu pour l’honneur abstrait d’un principe, et, qui sait ! peut-être aussi pour la vanité cruelle d’une insatiable popularité. Si cela était vrai, nous serions les derniers des hommes ; car nous prendrions le nom de Dieu et de l’humanité en vain, et nous ferions de la civilisation et de la liberté le plus infâme des trafics, aux dépens de la fortune et de la vie de nos concitoyens des colonies, et au profit de nos détestables amours-propres.

Mais cela est-il vrai ? Cela a-t-il le moindre fondement, et dans nos intentions et dans les faits ? Écoutez et jugez : ce sont nos doctrines, ce sont nos actes qui répondent. Monsieur Odilon Barrot vous disait à l’instant même que cette question était sortie du domaine des théories pour entrer dans la pratique. Cela est vrai, et, en y entrant, elle a pris ces conditions de mesure et de justice sans lesquelles il n’y a pas de vérité ni d’application. Nous procédons par la lumière, par la conviction et par la loi ; nous voulons la liberté, mais nous ne la voulons qu’aux conditions de la justice et du travail, dans nos colonies. Une émancipation injuste, c’est remplacer une iniquité par une autre. Une liberté désordonnée et sans conditions de travail c’est remplacer une oppression par une autre ; c’est fonder la tyrannie des noirs à la place de l’empire des blancs ; c’est l’anéantissement de nos colonies. Que disons-nous ? le voici :

Émancipation et indemnité ; nous y ajoutons initiation.

Indemnité aux colons ; messieurs, que ce mot n’effraye pas les hommes qui voient tout de suite s’ouvrir un abîme dans nos budgets, et qui soumettent toujours l’homme au chiffre, au lieu de soumettre le chiffre à l’homme.

Indemnité, comme je l’entends, n’a rien d’énorme, rien d’immédiatement exorbitant ; le pays même ne la sentirait pas.

En deux mots, voici comme je raisonne, et cette pensée, portée par moi il y a quatre ans à la tribune de la chambre, a été accueillie comme une solution pratique de la question qui pèse sur les esprits.

Trois classes d’intéressés profiteront de l’émancipation : l’État, les colons, les esclaves. L’État y recouvre la moralité dans les lois et le