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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/27

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TOUSSAINT LOUVERTURE.
CHŒUR DE NÈGRES, dans le lointain.

Vive la liberté !

LUCIE, à Adrienne.

Ah ! que peux-tu rêver, sur ces lointaines plages,
De plus beau que les mers qui baignent nos rivages ?
Que ces mornes couverts de bois silencieux ?
Autels d’où nos parfums s’élèvent dans les cieux ?
Que ce peuple étanchant ses veines épuisées,
Essuyant sa sueur sur ses chaînes brisées,
Cultivant ses sillons, et de la liberté
Semant les fruits divins pour sa postérité ?

ADRIENNE, toujours distraite.

O mornes du Limbé ! vallons ! anses profondes
Où l’ombre des forêts descend auprès des ondes ;
Où la liane en fleur, tressée en verts arceaux,
Forme des ponts sur l’air pour passer les oiseaux ;
Galets où les pieds nus, cueillant les coquillages,
J’écoute de la mer les légers babillages ;
Bois touffus d’orangers, qui, lorsque vient le soir,
Exhalez vos parfums comme un grand encensoir,
Et qui, lorsque la main vous secoue ou vous penche,
Nous faites en passant la tête toute blanche !
Roseaux qui de la terre exprimez tout le miel,
Où passe avec des sons si doux le vent du ciel !
Île au brûlant climat, aux molles habitudes,
Ah ! le ciel sait combien j’aime tes solitudes !
-Et cependant vos bois, vos montagnes, vos eaux,
Vos lits d’ombre ou de mousse au fond de vos berceaux,
Vos aspects les plus beaux, dont mon œil est avide,
Me laissent toujours voir quelque chose de vide,
Comme si de ces mers, de ces monts, de ces fleurs,
Le corps était ici, mais l’âme était ailleurs !