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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/295

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RAPHAËL

Le dénûment de fortune des deux amants les retenait sur les limites d’une triste et tendre amitié, par crainte de traîner le nom de leur famille dans l’indigence et de léguer la misère et des enfants. La jeune fille mourut, quelques années après, de découragement et de solitude. C’est une des plus suaves figures que j’aie vues s’éteindre faute de quelques rayons de fortune. Son visage, où l’on voyait le reste d’une florissante jeunesse également prête à refleurir ou à s’éteindre, était la plus gracieuse et la plus mélancolique empreinte de cette vertu du malheur qu’on appelle la résignation.

Elle devint aveugle à force d’avoir pleuré en secret pendant ses longues années d’attente et d’incertitude. Je la rencontrai une fois, à un de mes retours d’Italie. Elle était conduite par la main d’une de ses petites sœurs, dans les rues de Chambéry. Quand elle entendit ma voix, elle pâlit et chercha à tâtons un appui de sa main aveugle. « Pardon, me dit-elle, c’est que quand j’entendais cette voix autrefois j’en entendais avec elle une autre… » Pauvre fille, elle entend dans le ciel aujourd’hui celle de son ami.

LXXI

Qu’ils furent longs les deux mois à passer loin de Julie, à la campagne ou à la ville, dans la maison de mon père, avant d’atteindre l’époque où je devais la rejoindre à Paris ! J’avais épuisé, pendant les trois ou quatre mois qui venaient de s’écouler, la pension que me faisait mon père, les ressources secrètes de la tendresse de ma mère, la bourse de mes amis, pour payer les dettes que la dissipation, le jeu, les voyages, m’avaient fait contracter. Je n’avais aucun moyen de me procurer la petite somme né-