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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/318

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RAPHAËL

vertu. On confond son âme avec celle de Tacite, et on se sent fier de la parenté avec lui. Voulez-vous rendre le crime impossible à vos fils ? voulez-vous passionner la vertu dans leur imagination ? Nourrissez-les de Tacite. S’ils ne deviennent pas des héros à cette école, c’est que la nature en a fait des lâches ou des scélérats. Un peuple qui aurait Tacite pour manuel politique grandirait au-dessus de la stature commune des peuples. Ce peuple jouerait enfin devant Dieu le drame politique du genre humain dans toute sa grandeur et dans toute sa majesté. Quant à moi, je dois a cet écrivain non pas toutes les fibres de chair, mais toutes les fibres métalliques de mon être. C’est lui qui les a trempées. Si jamais nos temps vulgaires prenaient le tour grandiose et tragique de son temps et que je devinsse une digne victime d’une digne cause, je dirais en mourant : Rendez honneur de ma vie et de ma mort au maître, et non pas au disciple ; car c’est Tacite qui a vécu et qui est mort en moi ! »

XCIII

J’aimais aussi de passion les orateurs. Je les étudiais avec le pressentiment d’un homme qui aurait un jour a parler aux multitudes sourdes, et qui doit connaître d’avance le clavier des auditoires humains. Démosthène, Cicéron, Mirabeau, lord Chatham surtout, plus moderne et plus saisissant, à mes yeux, que tous les autres, parce que son éloquence tout inspirée et toute lyrique est un cri plutôt qu’une voix.

Cette éloquence s’élance par-dessus l’auditoire limité et par-dessus la passion du temps, sur les plus hautes ailes de la poésie, jusqu’aux régions permanentes de l’éternelle