Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
373
RAPHAËL

répercutent en noir sur une vaste étendue des eaux. En peu de minutes j’y étais parvenu.

Le soleil plongeait derrière les Alpes. Le long crépuscule d’automne enveloppait les montagnes, le bord et les flots. Je ne m’arrêtai pas aux ruines. Je traversai rapidement le verger où nous nous étions assis au pied de la meule de foin auprès des ruches. Les ruches et la meule de foin y étaient encore ; mais on ne voyait ni lueur de feu à travers les vitres de la petite auberge, ni fumée au-dessus du toit, ni filets suspendus pour sécher sur les palissades du jardin.

Je frappai, on ne me répondit pas. Je secouai le loquet de bois, la porte s’ouvrit d’elle-même. J’entrai dans la petite salle aux murailles enfumées. Le foyer était balayé jusqu’aux cendres. La table et les meubles étaient enlevés. Les dalles de pierre du pavé étaient couvertes de brins de paille et de plumes tombés de cinq ou six nids vides d’hirondelles suspendus comme une corniche aux poutres noires du plancher. Je montai l’échelle de bois accrochée au mur par un piton de fer, elle servait d’escalier à la chambre haute où Julie s’était réveillée de l’évanouissement, la main sur mon front ; j’y entrai comme on entre dans un sanctuaire ou dans un sépulcre, j’y promenai mes regards. Les lits de bois, les armoires, les escabeaux, avaient disparu. Un oiseau de nuit agita pesamment ses ailes au bruit de mes pas, battit les murs de ses plumes et s’échappa, en jetant un cri, par le châssis ouvert sur le verger.

Je pouvais à peine reconnaître la place où je m’étais agenouillé pendant cette terrible et délicieuse nuit, au pied d’un lit ou d’un cercueil. J’y baisai le plancher. Je m’assis longtemps sur le rebord de la fenêtre, essayant de recomposer dans ma mémoire le lieu, les meubles, le lit, la lampe, les heures ; tout cela était resté à sa place en moi quand tout avait déjà été déplacé dans la maison par un an