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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/389

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LE TAILLEUR DE PIERRE

vert, aux nids des rossignols et des martins-pêcheurs. De lourds clochers en pierre de taille tachés par la pluie, et revêtus de la mousse grisâtre des siècles, dominent ces villages en forme de pyramide allongée. L’œil du voyageur passe continuellement de l’un de ces clochers à l’autre, comme s’il comptait, à droite et à gauche, les bornes d’une voie romaine sur la route de cette populeuse contrée. À l’ombre de ces pyramides à jour, d’où retentit pour chaque habitant, au branle de la cloche, la voix de la naissance ou de la mort, on voit venir les mauves des cimetières. C’est là seulement que se reposent les laborieux vignerons de ces coteaux, après avoir changé pendant soixante ou quatre-vingts ans leur sueur en vin, pour nourrir leurs femmes et leurs filles. Une certaine gaieté douce court avec les rayons du soleil, avec les rubans moirés des ruisseaux, avec les reflets blancs des chaumières, avec les chants des femmes et avec le carillon des cloches sur toute cette campagne. Le ciel est doux, la terre sourit, le passant se dit : « J’aimerais à vivre là ! » et s’attriste en laissant derrière lui ce gracieux et lumineux paysage.

À mesure qu’on s’avance vers le pied des montagnes, la vigne cesse, les villages deviennent plus rares ; ils finissent par se disséminer en petits hameaux détachés, ou en groupes de deux ou trois chaumières, de loin en loin, sur les pentes escarpées des prés et des rochers tapissés de buis. Quand on est parvenu au faîte de la montagne dite du Bois-Clair, parce que le soleil du matin, en se levant derrière le Jura et le mont Blanc, frappait sans doute de ses premières clartés les hautes branches de son bois de chênes, on se retourne, sans y penser, pour jeter un dernier regard à l’immense scène sur laquelle le rideau noir de la montagne va s’abaisser : le Mâconnais jauni par ses pampres, la Saône glissant comme une longue couleuvre argentée entre ses prés verts, la Bresse toute veloutée de ses moissons et de ses saules, le noir Jura, les Alpes d’or ;