Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
397
DE SAINT-POINT.

entrecoupés de champs de bruyères violettes et de genêts aux fleurs jaunes hérissent les mamelons supérieurs ; puis la végétation s’appauvrit aux souffles trop frissonnants des régions froides, ou contracte la stérilité du rocher. Les crêtes presque nues ou seulement crénelées de quelques troncs de houx et de quelques torches d’épines se perdent dans le bleu du ciel ou dans les brumes flottantes des hautes cimes. Ces brumes, en voilant toujours les limites indécises de la terre et du ciel, font présumer aux regards des élévations infinies où la pensée aime à s’égarer. Le brouillard est aux montagnes ce que l’illusion est au sentiment : il les agrandit. C’est le mystère qui plane sur tout ici-bas et qui solennise tout aux yeux comme au cœur.

Telle est la vue qu’on a de la galerie de Saint-Point du côté du matin. Du côté du soir, ce sont des pentes moins inclinées, des rentrées et des saillies de la colline plus douces, des hameaux plus rapprochés et plus assis sur des plateaux de pelouses vertes, des bois plus uniformes et plus sombres étendus sur de plus molles déclivités. Les grandes ombres qui s’y déploient de bonne heure au soleil couchant les rendent encore plus veloutés à l’œil. Le caractère sauvage y fait place au caractère bocager et pastoral des plus fraîches vallées des Alpes. Quand on veut admirer, prier, rêver, on regarde les montagnes du côté du matin ; quand on veut espérer, envier, jouir, se recueillir dans les images d’une vie champêtre, on regarde les montagnes du côté du soir. Les unes sont un tableau de félicité sur la terre, les autres une échelle d’aspiration infinie au ciel, toutes deux une des plus belles toiles de la décoration du drame de la vie heureuse où s’est joué le pinceau du Créateur.

C’est là que j’habite depuis mon enfance, quand le flot de la vie, qui tarit et se renouvelle tour à tour sous moi, me laisse ou me ramène à ce premier bord de mon existence laborieuse et agitée. Je bénis les printemps, les étés, les automnes et même les rares hivers que j’ai pu y passer,