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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/406

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DE SAINT-POINT.

matin, sur le fond bleu et lumineux du firmament. Je n’osais pas lui adresser la parole, de peur de déranger le recueillement de ses traits. Sa voix, quand il répondait brièvement au vieux fermier, était timbrée, creuse et grave comme le son d’une dalle de marbre amincie et sans fêlure sous le petit marteau du polisseur ; son accent ne causait pas, il chantait. On eût dit que tout était hymne dans cette poitrine, jusqu’à oui et non.

Le père Litaud me jetait par moments un regard d’intelligence à la dérobée pour me dire : « Voyez si le tailleur de pierre n’est pas tel que je vous ai dit. » Puis il hochait un peu ses cheveux blancs, pour se dire à lui-même : « Je doute que monsieur lui fasse entendre raison. »

Nous arrivâmes aux mélèzes. Je montrai le haut du mur éraillé au tailleur de pierre. Il déplia sa toise pliée en éventail et marquée en pieds, pouces et lignes, pour mesurer le nombre et l’épaisseur des dalles que je demandais.

« C’est tant de toises, me dit-il en se rapprochant.

» — Eh bien ! faites-les-moi le plus tôt possible. Voilà ma carrière, à deux pas d’ici, d’où vous allez tirer. Mais dites-moi d’abord combien vous voulez avoir par pied carré ?

» — Je n’en sais rien, répondit-il avec un embarras visible et touchant.

» — Et qui le saura, lui dis-je, si ce n’est vous ? Ce sera donc moi tout seul ?

» — Non, monsieur, répliqua-t-il avec une timidité plus embarrassée encore, et qui fit gonfler les veines et rougir légèrement la peau de son front baissé. Ni vous ni moi ; ce sera Dieu.

» — Comment, Dieu ! m’écriai-je.

» — Oui, ajouta-t-il, il n’y a que lui qui sache combien de temps j’emploierai à tirer les pierres de la carrière, à les tailler et à les polir. Quand elles seront faites, je compterai ce qu’il me faudra juste pour ma nourriture, rien