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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/434

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DE SAINT-POINT.

de la peine, Claude, à faire ainsi autant que vous pouvez la volonté de Dieu ?

Lui. — Au contraire, monsieur, c’est le paradis sur la terre pour moi.

Moi. — Et en quoi consiste pour vous cette volonté ?

Lui. — À tout aimer ce qu’il a fait, monsieur, afin de l’aimer ainsi lui-même dans ses œuvres, et à tout servir, afin de le servir ainsi lui-même dans tout le monde.

Moi. — Mais tout aimer et tout servir en vue d’aimer et de servir l’auteur de tout, c’est pénible quelquefois ; car enfin il y a bien des personnes et des choses qu’il est difficile d’aimer, et on est bien tenté souvent de se servir soi-même au lieu de servir les autres.

Lui. — Eh bien, monsieur, on m’a souvent dit ça là-bas dans les villes et ici dans les villages ; il faut que ce soit vrai, et pourtant, ce n’est pas pour me vanter, soyez-en sûr, mais je ne l’ai jamais compris.

Moi. — Comment, Claude, il ne vous a jamais été pénible d’aimer tout le monde et de vous sacrifier à tout le monde ? Vous êtes donc un abîme d’amour et d’abnégation ?

Lui. — Moi, monsieur ! Ah ! je ne suis bien que le dernier des derniers parmi les autres. Je le sens bien, allez, et je me cache bien autant que je peux ici avec mes pauvres bêtes, pour ne pas faire trop honte par ma misère d’esprit à mes pareils dans le pays ; mais pour quant à avoir de la peine à aimer, je mentirais si je le disais. Il paraît que le bon Dieu, qui m’a refusé l’esprit et bien d’autres choses, ajouta-t-il avec un soupir mal étouffé, m’a fait la grâce de me rendre de ce côté ce qu’il m’a ôté de tous les autres. Mais je n’ai jamais senti de haine en moi contre mon prochain de toute espèce.

Moi. — Qu’entendez-vous par votre prochain de toute espèce ?

Lui. — Je m’entends, monsieur : je veux dire les