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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/450

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DE SAINT-POINT.

CHAPITRE VI


Claude parut chercher un moment sa mémoire dans ses yeux levés vers le firmament au-dessus de la croix noire, et il me dit à peu près littéralement ceci :

« Notre hutte était la hutte au-dessous de laquelle j’habite aujourd’hui dans ce qui faisait autrefois l’étable. Vous me direz : « Pourquoi n’avez-vous pas relevé la maison, et couchez-vous dans l’appentis, qui est humide et obscur comme une cave ? » Je vais vous l’avouer, monsieur : c’est que pour rebâtir la chambre sur le rocher, pour relever les murs, pour refaire le plancher et le toit, il aurait fallu couper et arracher le lierre qui s’est mêlé, depuis le malheur de notre famille, avec les pierres, les solives, les poutres, et qui a repris son bien où il l’a trouvé. Ce beau lierre, quand je l’ai revu comme ça, à mon retour, m’a fait l’effet d’un manteau que l’amitié de la steppe avait jeté sur la ruine de notre bonheur. J’ai dit : « Je ne te toucherai pas ; il y a assez de place pour nous deux maintenant sur cette roche. Garde le dessus, je prendrai le dessous, et les merles nicheront et siffleront en paix dans tes grappes. » Voilà, monsieur ; je vous le dis bêtement tel que l’ai pensé. Un pauvre homme seul, voyez-vous, ça s’attache à tout, et ça aime tout ce qui vous aime.

Mon père s’appelait Benoît la Hutte ; ma mère, je n’ai jamais su son nom de maison : on l’appelait la mère. Ils étaient cousin et cousine, frère et sœur, beau-frère et belle-sœur, oncle et tante, neveu et nièce avec tous ceux et toutes celles des deux autres huttes dont vous avez vu les décombres en monceaux et les petits vergers en genêts et en friche en montant vers chez nous. Le creux de la gorge, la pente de la montagne, les bruyères, les genêts et l’enclos où nous