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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/478

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DE SAINT-POINT.

core une fois, toute dure de cœur que je la croyais pour moi. Eh bien, monsieur, vous en penserez ce que vous voudrez, mais j’aurais donné je ne sais quoi pour ne pas me trouver comme cela tout seul en face d’elle. Les jambes me tremblaient tellement, que je ne pouvais quasi plus ni avancer ni reculer. S’il y avait eu un autre chemin pour traverser le ravin à droite et à gauche, à coup sûr je me serais détourné pour ne pas toucher sa robe en passant, et pour ne pas entendre sa voix une fois de plus ; mais il n’y en avait pas. Il fallut me faire courage et marcher, comme si je n’avais rien entendu ou rien vu, vers l’entrée de la planche.

» Quand j’en fus tout près et que je levai mes yeux baissés sur le bout de mes souliers, je vis Denise qui s’était mise droit devant moi à l’entrée du pont de bois, et qui me barrait le passage avec son corps. Je m’arrêtai à six pas d’elle sans savoir ce que ça voulait dire ; car elle n’avait pas coutume de mener les bêtes si loin ni si matin. Mon cœur grondait en moi sous mes côtes, comme la source sous la pierre quand les neiges fondent.

» Mais je n’eus pas plutôt levé les yeux en sentant son souffle contre moi et en voyant l’ombre de son corps jetée par le soleil sur mes pieds, que je changeai tout à coup de sentiment et que ma colère s’adoucit en compassion.

» De la veille au lendemain, vous ne l’auriez pas quasiment reconnue, tant cette nuit, qu’elle avait passée au froid de la montagne l’avait changée. Elle avait ses pieds tout mouillés et tout grelottants dans l’herbe, qui craquait sous la gelée blanche. Sa robe de laine noire était froissée et collée contre elle par la rosée. Ses cheveux étaient aplatis d’un côté de sa tête comme ceux de quelqu’un qui s’est couché la tête sur le bras, et de l’autre côté ils étaient échappés de sa coiffe de dentelle noire, et tout parsemés de feuilles mortes et de brins de mousse jaune, comme un agneau qui a traversé les ronces. Le tour de ses