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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/485

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LE TAILLEUR DE PIERRE

des nids avec un bruit qui fait peur aux filles ; les pinsons qui ramageaient sur le cerisier, ou les alouettes dans le bleu de l’air ; les lézards qui nous regardaient sur les rochers ; le bruit de nos souffles qui se répandait tout doucement quand les oiseaux restaient silencieux, et qui nous faisait entendre que nous étions deux ; voilà, monsieur, la plupart du temps, comment nous passions les heures, ah ! les belles heures d’été ! pendant les semaines où nous devions nous parler. Et puis nous revenions, quand les ombres s’allongeaient, d’un pas quasi aussi lent que ces ombres sur le penchant de la montagne. Nous n’avions pas marché, monsieur, nous nous étions reposés tout un soir, et pourtant il semblait que nous ne pouvions pas nous lever de ces roches, et nous traînions à terre des pieds aussi lents et aussi fatigués que si nous avions labouré ou sarclé tout le jour au soleil.

» Il faut tout dire : je n’étais pas le même ouvrier qu’avant dans mes chantiers, ni elle la même ouvrière à la maison. Je descendais tard, je remontais tôt, je travaillais sans cœur au métier. Je m’ennuyais maintenant d’être seul, moi qui avais tant aimé autrefois de ne voir autour de moi se remuer que mon ombre. Denise, de son côté, n’était plus tout à fait la même aux champs, à l’étable, autour du foyer. Elle se peignait bien plus longtemps à sa fenêtre, devant le miroir que je lui avais acheté. Elle se lavait bien plus souvent les pieds, les mains, le visage, dans le bassin de la fontaine, quand la poussière du foin ou de l’orge battue dans la grange l’avait tant soit peu poudroyée. Ses chemises de gros chanvre étaient bien mieux plissées sur le devant de sa taille depuis que je lui avais donné son fer à repasser. Quelquefois même elle se laissait complaisamment mettre des fleurs blanches de ronces dans ses cheveux. « Oh ! si tu pouvais la voir comme elle est belle avec sa fleur de buisson ! » disait Annette au pauvre aveugle ; et elle lui racontait la beauté