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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/517

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LE TAILLEUR DE PIERRE

curieux de voir vivre et d’entendre respirer cet homme devant Dieu seul.

Il y était, en effet, comme toujours, par la pensée et par l’adoration ; mais il ne se doutait pas qu’il y avait un regard et une oreille entre son âme et Dieu.

Il traçait avec distraction des lignes sur le sable avec une branche de noisetier qu’il tenait à la main. Il faisait rouler du pied des grains de sable ou de petits graviers dans l’eau, en paraissant écouter avec un certain charme le petit bruit de cloche plaintive que ces chutes faisaient rendre au bassin. Il appelait par son nom tantôt une chèvre, tantôt l’autre ; il sifflait son chien ; il suivait de l’œil le papillotement des rayons sur l’eau ; il s’accordait tantôt sur un bras, tantôt sur l’autre ; il fermait et il rouvrait tour à tour sa lourde paupière, comme pour contenir ou pour laisser évaporer ses pensées. Il avait de longs intervalles pendant lesquels on ne l’entendait pas plus aspirer son souffle que s’il eût été mort, puis de longues et inépuisables respirations, comme s’il eût voulu épancher toute sa vie dans une haleine. On voyait qu’il y avait à la fois du calme et du mouvement dans cette âme, et qu’elle ressemblait à la mer, qui coupe ses majestueux silences par de majestueuses ondulations. L’enthousiasme intérieur pesait évidemment sur lui comme Dieu, père invisible, sur son Océan. Il priait.

Que n’aurais-je pas donné pour traduire en paroles cette prière sourde, cette invocation muette qui se passait toute ainsi entre ses lèvres et son cœur ? On n’a jamais noté les palpitations d’une âme simple, plus belles sans doute mille fois que les hymnes des poëtes et les prières savantes et étudiées de ceux qui font profession d’enthousiasme et de contemplation. Il ne me fut pas donné d’en saisir autre chose que la contre-empreinte sur sa physionomie, dans son attitude, dans ses gestes, et quelquefois le nom de Dieu qu’il prononçait en inclinant le front ou en