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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/551

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LE TAILLEUR DE PIERRE

delle qui vient de sortir de sa coquille, et qui ne saurait pas manger si sa mère ne lui apportait pas un moucheron dans le nid. Il n’avait rien ramassé pour les années de maladie ; il travaillait pour l’amour de Dieu dans tous les hameaux. Il disait seulement à ceux dont il avait fait l’ouvrage : « Si je viens à devenir infirme ou malade, vous me nourrirez, n’est-ce pas ? » Et en effet, monsieur, il eut la jambe cassée et l’épaule démise en relevant le toit de la cabane de la veuve Baptistine, qui s’était éboulée la nuit sur elle et sur ses enfants ; et en leur sauvant la vie, il perdit la sienne.

» — Mais tout le monde eut bien soin de lui, n’est-ce pas, dans sa dernière maladie ? car on est bien charitable dans le pays, surtout quand il ne faut pas débourser un pauvre liard.

» — Oh ! oui, monsieur, on le reporta sur un brancard dans sa cabane, et un jour l’un, un jour l’autre, on y montait pour lui porter son pain et pour le retourner sur sa paille. Il n’aurait manqué de rien s’il avait voulu ; mais il avait si peur de faire tort au monde et de prendre quelque chose qui ne lui était pas dû, qu’il ne recevait absolument que son morceau de pain juste pour lui et pour son chien. Et quand on voulait lui faire accepter autre chose, comme un peu de viande ou un peu de bouillon pour le soutenir, ou une goutte de vin pour l’égayer, il disait : « Non, je n’ai pas gagné cela de vous, je n’en veux pas ; je ferais tort à vos enfants. » Enfin, il n’y avait ni raisons ni prières qui fissent ; il fallait tout remporter.

» Un jour qu’il paraissait plus faible que de coutume, nous y allâmes, ma femme et moi, et nous lui portâmes une écuelle de bouillon de poulet que nous avions tué pour lui, et je lui dis : « Prends, Claude ; nous avons tué notre nourrin, et nous en avons fait la soupe. — Oh ! que non, nous dit-il en regardant l’écuelle ; ce n’est pas là du bouillon de nourrin. Vous avez tué une poule pour me