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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/56

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ACTE II, SCÈNE II

Que pourra des Français la faible autorité,
Traînant de leur couleur l’impopularité ?
Leur proconsul, sans force et paré d’un vain titre,
Des destins d’Haïti me laissera l’arbitre ;
Je saurai dévorer ce téméraire affront,
Jusqu’à ce qu’Haïti les dépassant du front,
Et sous leurs étendards grandissant à leur ombre,
Aidé par le climat les étouffe du nombre.
La présence des blancs, leur aspect odieux
M’assurera les cœurs en alarmant les yeux :
Du lion déchaîné pour irriter la haine,
Il est bon quelquefois qu’il voie un bout de chaîne.
Devant l’anneau sanglant qu’il a longtemps porté,
Le captif aime mieux son âpre liberté.
Cependant les Français, trompés par l’apparence,
Laisseront mes enfants revenir de la France ;
Aussitôt que leurs pieds auront touché ces bords,
On connaîtra Toussaint… Je serai libre alors !…

le moine.

Tu seras dans les fers forgés par ta démence !
Le grand jeu du destin jamais ne recommence.
Quand le prix qu’on expose est un peuple de Dieu,
Deux fois sur sa fortune on ne met pas l’enjeu.
Une fois ou jamais !… Quand l’heure d’en haut sonne,
Elle ne s’accommode à l’heure de personne…
Écoute… Mieux que toi, je lis dans ton esprit :
Tu cherches à tromper l’instinct qui t’attendrit ;
Ta résolution contre l’amour se brise,
Et ton cœur qui faiblit raisonne et temporise ;
Mais des nécessités le flot accumulé
T’écrase sous le temps vainement reculé.
Dis-moi, crois-tu toi-même a ton propre sophisme ?
Prends-tu la lâcheté pour du patriotisme ?
Crois-tu l’indépendance et les droits des humains