Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
TOUSSAINT LOUVERTURE.

Entre la mer et vous, écrasés ou noyés,
Ils auront disparu comme une onde tarie,
Et leurs os fumeront le sol de la patrie !
Allez, ne craignez rien, mon ombre est sur vos pas.

Dessalines et Pétion s’avancent pour parler ; il les arrête du geste.

Je connais vos pensées, ne me les dites pas !
Vous craignez les Français, votre cœur s’épouvante
De cet art meurtrier dont leur orgueil se vante.
Que peut-il contre un peuple ? Enfants, vous allez voir.

Il fait un signe.

Apportez-moi ces grains de maïs blanc et noir.

On lui apporte une corbeille, il prend une poignée de grains de maïs noir, la verse dans une coupe de cristal, et répand sur la surface du vase une couche de mais blanc, puis il présente la coupe aux regards du peuple.

Vous ne voyez que blanc quand votre front s’y penche ?
À vos yeux effrayés toute la coupe est blanche…
Or, pourquoi les grains blancs sont-ils seuls aperçus ?…

Hésitation des noirs.

Peuple pauvre d’esprit ! en ! c’est qu’ils sont dessus !…
Mais attendez un peu.

Il vide la coupe sur un plateau, les grains blancs disparaissent complètement dans ]’immense quantité de grains noirs.

Mais attendez un peu.Tenez, le noir se venge ;
En remuant les grains, voyez comme tout change !
On ne voyait que blanc, on ne voit plus que noir ;
Le nombre couvre tout, et ceci vous fait voir
Comment l’égalité, quand l’honneur la rappelle,
Rend à chaque couleur sa valeur naturelle !
Tout leur art n’y peut rien. — Ils sont un et vous dix. —
Haïti sera noir, c’est moi qui vous le dis.

Le peuple pousse des éclats de rire et des applaudissements forcenés.

Allez ! et laissez-moi penser pour la patrie.

Tout le monde sort.