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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/387

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CÉSAR.

mains avilis, tous les citoyens de la bourgeoisie, qui déploraient la souveraineté républicaine absorbée dans un homme ; enfin, tous les hommes vertueux, à qui la tradition romaine et la philosophie grecque avaient enseigné à confondre, comme Cicéron, Scipion, Caton, la vertu et la liberté dans le seul mot patrie, s’avouèrent à demi-voix leur commune pensée. Soixante sénateurs, sans prêter sur le poignard aucun de ces vains serments qui lient les courageux et qui ne lient ni les espions ni les lâches, autorisèrent Brutus à compter sur eux. César lui-même fixa le jour de sa mort, en fixant au 15 des ides de mars le jour de la convocation du sénat, pour entendre, de la bouche de ses affidés, la proposition de lui décerner le titre de la royauté, le bandeau de pourpre autour du front.

L’opinion était si établie, la résolution était si ferme, le dessein paraissait si honnête que, sur ce grand nombre de conjurés à qui on n’avait demandé que la prudence, aucun ne trahit même par une indiscrétion le complot. Ce n’était pas même un complot dans leur pensée ; c’était le coup d’État de la république, le juste talion de la liberté. César seul devait expier pour tous. Brutus, dans la réunion où l’on délibéra si l’on ferait mourir ses principaux partisans, s’opposa à tout autre meurtre qu’à celui qui paraissait nécessaires la liberté de tous. Il sauva même Antoine, plus instigateur encore de monarchie que César ; il représenta avec raison qu’Antoine était plus méprisable que redoutable, plus vaniteux que féroce, qu’il jouissait, comme consul sur le peuple et comme général sur les légions, d’un crédit qui pourrait aider les conjurés à faire accepter le meurtre de César une fois accompli, et qu’après avoir aidé à renverser la république, ce soldat dissolu et versatile serait tout aussi tenté de participer à la gloire de la rétablir. Quant à Cicéron, bien que Brutus fût le plus respectueux de ses amis, uni depuis son enfance à ce grand