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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/314

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en vénération parmi eux ; ils pleurèrent, quand je leur racontai sa mort, car son nom leur rappelait la gloire et la prospérité passées de leur nation. J’entendis là les mêmes plaintes et les mêmes regrets ; le désert tout entier semblait encore en deuil de la mort du drayhy.

» Le treizième jour de mon séjour parmi ces tribus, je vois arriver au camp un chameau chargé d’un haudag en drap d’écarlate brodé d’or, et conduit en laisse par deux nègres. Une femme à demi aveugle et courbée par l’âge en descend sur les genoux des guerriers, qui se pressent avec respect autour d’elle. On la conduit au-devant de moi, et elle étend à tâtons ses bras comme pour m’embrasser. Comme l’étonnement me clouait sur place, muet et immobile, elle s’écria : « Fatalla Sayeghir, tu ne me reconnais donc pas ? — Hélas ! lui dis-je, ne savez-vous donc pas le vers d’Antar : « Les années foulent le visage de l’homme » comme les pas d’une caravane foulent la poussière. » Il y a trente années que j’ai quitté le désert. — Je suis, dit-elle, la fille d’Hédal, la femme de l’émir Bargiass, de la tribu de Mahedgi. C’est moi qui ai détourné le sabre de ta tête, qui t’ai couché sous ma tente, et qui ai veillé trois jours sur ton sommeil. » À ces paroles, je poussai un grand cri, je tombai à genoux, et je baisai sa main en la baignant de mes larmes.

» J’ai raconté dans mon voyage comment, tombé par surprise dans la tribu de Bargiass, alors ennemi de celle du drayhy, vingt sabres avaient rasé mon front. Un geste et un cri de la fille d’Hédal les avaient écartés, et elle m’avait recueilli sous son toit comme une mère plutôt que comme