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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/185

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Mars répondit à ces cris par des imprécations unanimes. Des mottes de terre détrempée par la pluie du jour, seule arme de cette foule, volèrent sur la garde nationale et atteignirent le cheval de M. de La Fayette, le drapeau rouge et Bailly lui-même. Quelques coups de pistolet furent, dit-on, tirés de loin sur eux. Rien n’est moins prouvé. Ce peuple ne songeait point à combattre, il ne voulait qu’intimider. Bailly fit faire les sommations légales. On y répondit par des huées. Avec la dignité impassible de sa magistrature et avec la douleur grave de son caractère, Bailly donna l’ordre de dissiper le peuple par la force. La Fayette fit d’abord tirer en l’air ; mais le peuple, encouragé par la vaine démonstration de ces décharges qui ne blessaient personne, se reformant de nouveau devant la garde nationale, une décharge mortelle éclata sur toute la ligne, tua, blessa, renversa cinq ou six cents hommes, les républicains dirent dix mille. Au même moment les colonnes s’ébranlèrent, la cavalerie chargea, les canonniers se préparèrent à faire feu. Le sillon de la mitraille dans cette foule compacte aurait mis en pièces des masses d’hommes. La Fayette ne pouvant contenir de la voix ses canonniers irrités, poussa son cheval à la gueule du canon, et par ce mouvement héroïque préserva des milliers de victimes.

En un clin d’œil, le Champ de Mars fut évacué ; il n’y resta que les cadavres des femmes, des enfants renversés ou fuyant devant les charges de la cavalerie, et quelques hommes, plus intrépides, sur les marches de l’autel de la patrie, qui, au milieu du feu le plus terrible et sous les bouches du canon, recueillaient et se partageaient, pour les sauver, les cahiers des pétitions comme des feuilles sacrées, témoignages de la volonté ou gages sanglants de la ven-