Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la patrie ; c’était l’ostracisme des supériorités et le triomphe assuré à la médiocrité. Une nation, quelque riche qu’elle soit en génie et en vertu, ne possède pas un nombre illimité de grands citoyens. La nature est avare de supériorités. Les conditions sociales nécessaires pour former un homme public se rencontrent difficilement. Intelligence, lumières, vertus, caractère, indépendance, loisir, fortune, considération acquise et dévouement, tout cela est rarement réuni sur une seule tête. On ne décapite pas impunément toute une société. Les nations sont comme leur sol : après avoir enlevé la terre végétale, on trouve le tuf, et il est stérile. L’Assemblée constituante avait oublié cette vérité, ou plutôt son abdication avait ressemblé à une vengeance. Le parti royaliste avait voté la non-rééligibilité pour que la Révolution, échappant aux mains de Barnave, tombât sous les excès des démagogues. Le parti républicain l’avait votée pour anéantir les constitutionnels. Les constitutionnels la votèrent en châtiment de l’ingratitude du peuple, et pour se faire regretter par le spectacle de l’indignité de leurs successeurs. Ce fut un vote de passions diverses, toutes mauvaises, et qui ne pouvait produire que la perte de tous les partis. Le roi seul ne voulait pas cette mesure. Il sentait le repentir dans l’Assemblée nationale ; il s’entendait avec ses principaux chefs ; il avait la clef de beaucoup de consciences. Une nation nouvelle, inconnue, impatiente, allait se trouver devant lui dans une autre assemblée. Les bruits de la presse, des clubs, de la place publique, lui annonçaient trop bien à quels hommes le peuple agité donnerait sa confiance. Il préférait les ennemis connus, fatigués, en partie acquis, à des ennemis nouveaux et ardents, qui voudraient surpasser en exigence