Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/26

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la géométrie jusqu’à la chaire sacrée, la philosophie du dix-huitième siècle envahissait ou altérait tout. D’Alembert, Diderot, Raynal, Buffon, Condorcet, Bernardin de Saint-Pierre, Helvétius, Saint-Lambert, La Harpe, étaient l’Église du siècle nouveau. Une seule pensée animait ces esprits si divers, la rénovation des idées humaines. Le chiffre, la science, l’histoire, l’économie, la politique, le théâtre, la morale, la poésie, tout servait de véhicule à la philosophie moderne ; elle coulait dans toutes les veines du temps, elle avait enrôlé tous les génies ; elle parlait par toutes les langues. Le hasard ou la Providence avait voulu que ce siècle, presque stérile ailleurs, fût le siècle de la France. Depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’au commencement du règne de Louis XVI, la nature nous avait été prodigue d’hommes. L’éclat continué par tant de génies du premier ordre, de Corneille à Voltaire, de Bossuet à Rousseau, de Fénelon à Bernardin de Saint-Pierre, avait accoutumé les peuples à regarder du côté de la France. Le foyer des idées du monde répandait de là son éblouissement. L’autorité morale de l’esprit humain n’était plus à Rome. Le bruit, la lumière, la direction, partaient de Paris ; l’Europe intellectuelle était française. Il y avait de plus, et il y aura toujours dans le génie français quelque chose de plus puissant que sa puissance, de plus lumineux que son éclat : c’est sa chaleur, c’est sa communicabilité pénétrante, c’est l’attrait qu’il ressent et qu’il inspire en Europe. Le génie de l’Espagne de Charles-Quint est fier et aventureux ; le génie de l’Allemagne est profond et austère ; le génie de l’Angleterre est habile et superbe ; celui de la France est aimant, et c’est là sa force. Séductible lui-même, il séduit facilement les peuples. Les autres grandes