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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/36

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plus infâmes circulaient, les anecdotes les plus controuvées furent répandues. Le cœur d’une femme, fût-elle reine, a droit à l’inviolabilité. Les sentiments ne deviennent de l’histoire que quand ils éclatent en publicité.


XIV

Aux journées des 5 et 6 octobre, la reine s’aperçut trop tard de l’inimitié du peuple ; la rancune dut envahir son cœur. L’émigration commença, elle la vit avec faveur. Tous ses amis étaient à Coblentz ; on lui supposait des complicités avec eux : ces complicités étaient réelles. Les fables d’un comité autrichien furent semées dans le peuple. On accusa Marie-Antoinette de conjurer la perte de la nation, qui demandait à chaque instant sa tête. Le peuple soulevé a besoin de haïr quelqu’un, on lui livra la reine. Son nom fut chanté dans ses colères. Une femme fut choisie pour l’ennemie de toute une nation. Sa fierté dédaigna de la détromper. Elle s’enferma dans son ressentiment et dans sa terreur. Emprisonnée dans le palais des Tuileries, elle ne pouvait mettre la tête à la fenêtre sans provoquer l’outrage et entendre l’insulte. Chaque bruit de la ville lui faisait craindre une insurrection. Ses journées étaient mornes, ses nuits agitées ; son supplice fut de toutes les heures pendant deux ans ; il se multipliait dans son cœur par son amour pour ses deux enfants et par ses inquiétudes sur le roi. Sa cour était vide, elle ne voyait plus