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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/503

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le poignard. On crie : À bas ! à bas ! L’indignation soutient M. de Gouvion contre son mépris intérieur. « Quel est le lâche qui se cache pour outrager la douleur d’un frère ? dit-il en cherchant des yeux l’interrupteur. — Je me nomme : c’est moi, » lui répond, en se levant, le député Choudieu. Les tribunes couvrent de battements de mains l’insulte de Choudieu. On dirait que cette foule n’a plus de cœur, et que la passion triomphe en elle, même de la nature. Mais M. de Gouvion était appuyé sur un sentiment plus fort que la fureur d’un peuple, un généreux désespoir. Il continua : « J’ai applaudi comme homme à la clémence de l’Assemblée nationale quand elle a rompu les fers de ces malheureux soldats, qui étaient peut-être égarés. » On l’interrompt encore. Il reprend avec une énergie contenue : « Les décrets de l’Assemblée constituante, les ordres du roi, la voix de leurs chefs, les cris de la patrie, ont été impuissants sur eux. Sans provocation de la part de la garde nationale des deux départements, ils ont fait feu sur les Français. Mon frère est tombé, tombé victime volontaire de son obéissance à vos décrets ! Non, ce ne sera jamais tranquillement que je verrai flétrir la mémoire de ces gardes nationaux par des honneurs accordés aux hommes qui les ont immolés. » Couthon, jeune Jacobin, assis non loin de Robespierre, dans les yeux de qui il semble puiser ses stoïques inspirations, se lève et combat Gouvion sans l’insulter. « Quel est l’esclave des préjugés qui oserait déshonorer des hommes que la loi a innocentés ? Qui ne ferait taire sa douleur personnelle devant les intérêts et le triomphe de la liberté ? » Mais la voix de Gouvion a remué au fond des cœurs une corde de justice et d’émotion naturelle qui palpite encore sous l’insensibilité des opinions. Deux fois l’Assemblée, sommée par le prési-