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Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/593

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Nous avons parlé déjà, et même à diverses reprises, des rapports qui existent entre l’intérêt et la rente. Nous savons que ces deux revenus prennent souvent leur origine dans une même opération, l’application d’un capital à un fonds[1] donnant naissance à la fois à un intérêt et à une rente. Nous savons que l’intérêt participe souvent de la nature de la rente, pour partie ou dans sa totalité, par le caractère de gratuité qu’il présente. Mais nous savons aussi que l’intérêt et la rente demeurent, malgré cela, deux revenus parfaitement distincts, et que ce qui les distingue, c’est que l’intérêt se rattache à des biens fongibles, au lieu que la rente se rattache à des biens non fongibles, ou qui ne seront fongibles, si cela doit arriver jamais, que par accident. Sur cette distinction, toutefois, il est nécessaire que nous revenions un peu. Il s’est trouvé un certain nombre d’auteurs, en effet, pour ne pas la bien voir, ou même pour nier expressément qu’elle fût essentielle. On a avancé que la rente et l’intérêt étaient un même re venu ; on a soutenu que l’opposition classique entre l’uniformité de l’intérêt et la non-uniformité de la rente — il n’y a pas en effet de taux de la rente — provenait de ce qu’on peut mesurer ce revenu de deux façons différentes : on peut mesurer le revenu d’une terre, par exemple, soit par rapport à son étendue — on dira alors que ce revenu est de tant par hectare, et ce sera une rente —, soit par rapport à sa valeur — et ce sera un intérêt —.

Il est aisé de comprendre comment s’est formée cette opinion que nous venons de relater. L’intérêt peut, d’une certaine manière, être ramené à la rente — cela du moins si l’on excepte le cas du prêt de consommation — : il suffit pour cela de le rattacher à ces biens qui lui donnent naissance, en les considérant dans leur spécificité, et en faisant abstraction de ce qu’ils ont coûté à acquérir. Un individu a construit une usine, et y a dépensé 100.000 francs ; s’il veut bien oublier cette dépense, alors certainement il n’y aura pas d’intérêt dans le revenu que cette usine lui donnera, mais seulement une rente. D’autre part, la rente se laisse ramener à l’intérêt. Celui qui possède une terre et qui en retire en la louant un revenu annuel de 10.000 francs, s’il a acheté sa terre 250.000 francs, verra dans ce revenu l’intérêt de ce prix qu’il a payé ; et le propriétaire foncier qui n’a pas acheté sa terre verra, lui aussi, un intérêt dans le revenu que celle-ci lui donne s’il pense à la valeur qu’elle a, au prix qu’il pourrait la vendre.

Cette réduction de l’intérêt à la rente, toutefois, et de la rente à l’intérêt, si nous nous plaçons au point de vue social — comme il convient de faire ici —, méconnaît la vraie nature des choses. Prenons en premier lieu la réduction de la rente à l’intérêt, et examinons bien l’exemple donné ci-dessus, en supposant que ni le propriétaire de la terre ni ceux qui l’ont

  1. Nous appellerons du nom de fonds ces biens que l’on exploite, et qui, du point de vue social, ne sont pas des capitaux. Ce sont les fonds qui donnent des rentes.