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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/374

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de tenir compte, à côté du matérialisme proprement dit, des systèmes similaires ou parallèles.

En Angleterre, l’aristocratique Shafteshury put placer impunément le Dieu des vengeances sur un des plateaux de sa balance et le trouver trop léger. Même en Allemagne, bien plus tard, il est vrai, Schiller osa exhorter à fermer les temples de ce Dieu que la nature n’aperçoit qu’avec ses instruments de torture et qui ne se plaît qu’aux larmes de l’humanité (33). Les hommes instruits avaient la faculté de remplacer cette première idée de Dieu par une conception plus pure. Mais pour le peuple, surtout pour le peuple catholique de France, le Dieu de la vengeance était en même temps le Dieu de l’amour. Dans la religion populaire, le ciel et l’enfer, la bénédiction et la malédiction se combinaient en une mystique unité avec la précision inflexible d’une idée traditionnelle. Le Dieu, dont Diderot ne faisait ressortir que les taches, était le Dieu du peuple, le Dieu de sa confiance, de sa crainte et de sa vénération quotidienne. On pouvait renverser cette statue, comme fit jadis saint Boniface celles des divinités païennes, mais on ne pouvait, par un ingénieux trait de plume, lui substituer le Dieu de Shaftesbury. Une seule et même goutte, suivant la variété des solutions chimiques, auxquelles on la mêle, donne des précipités fort différents. Diderot combattait, en réalité, depuis longtemps, en faveur de l’athéisme, alors qu’il l’écrasait encore en théorie.

Dans ces conditions, il n’y a pas grande importance historique à examiner en détail la nature de son matérialisme ; cependant, pour la critique de ce système, quelques mots sur les idées de Diderot ne seront pas superflus. Sa doctrine constitue, quoique sur un plan assez vague, néanmoins en traits faciles à discerner, une modification toute nouvelle du matérialisme, qui semble éviter l’objection principale faite contre l’atomisme, depuis Démocrite jusqu’à Hobbes.