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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/421

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le point de vue de la morale, et sa polémique contre les remords, qui se relie à sa théorie sur l’éducation.

Comme on s’obstine encore aujourd’hui à étaler aux yeux du public les étranges caricatures qui ont été faites de la morale de de la Mettrie, nous tenons à indiquer brièvement les traits essentiels de son système.

Le bonheur de l’homme repose sur le sentiment du plaisir qui est partout le même, mais se divise, suivant sa qualité, en plaisir grossier ou fin, court ou durable. Comme nous ne sommes que des corps, nos jouissances intellectuelles même les plus élevées sont par conséquent, en vertu de leur substance, des plaisirs corporels ; mais, quant à leur valeur, ces plaisirs diffèrent beaucoup les uns des autres. Le plaisir sensuel est vif, mais court ; le bonheur, qui découle de l’harmonie de tout notre être, est calme mais durable. L’unité dans la variété, cette loi de la nature entière, se retrouve donc ici ; et il faut reconnaître en principe que toutes les espèces de plaisir et de bonheur ont des droits égaux, bien que les natures nobles et instruites éprouvent d’autres jouissances que les natures basses et vulgaires. Cette différence est secondaire, et, à ne considérer que l’essence du plaisir, non-seulement il échoit à l’ignorant comme au savant, mais encore il n’est pas moins grand pour le méchant que pour le bon. (Comparez Schiller : « Tous les bons, tous les méchants suivent la voie du plaisir, semée de roses »).

La sensibilité est une qualité essentielle de l’homme, tandis que l’éducation n’est qu’une qualité accidentelle ; il s’agit donc avant tout de savoir si, dans toutes les conditions, l’homme peut être heureux, c’est-à-dire si son bonheur est fondé sur la sensibilité et non sur l’éducation. La question est tranchée par la grande masse des ignorants, qui se sentent heureux dans leur ignorance et, même en mourant, se consolent par des espérances chimériques, qui sont pour eux un bienfait.

La réflexion peut augmenter le plaisir, mais non le donner.