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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/489

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l’univers, quoiqu’on eût l’air de s’appuyer sur Leibnitz ; on empruntait le texte à Leibnitz, l’interprétation à Shaftesbury, et, à la place de la mécanique des essences incréées, apparut, comme dans la philosophie juvénile de Schiller, l’hymne à la beauté du monde, dont tous les maux servent à rehausser l’harmonie générale et font l’effet de l’ombre dans un tableau, de la dissonance en musique.

À ce cercle d’idées et de sentiments le spinozisme s’adapte bien mieux que le matérialisme ; en outre, rien ne pourrait différencier plus clairement ces deux systèmes que l’influence exercée par Spinoza sur les chefs du mouvement intellectuel en Allemagne au XVIIIe siècle. Il ne faudrait cependant pas oublier qu’aucun d’eux ne fut spinoziste dans la véritable acception du mot. On s’en tenait à un petit nombre d’idées principales : l’unité de tout ce qui existe, la régularité de tout ce qui arrive, l’identité de l’esprit et de la nature. On ne s’inquiétait guère de la forme du système ni de l’enchaînement des différentes propositions ; et quand on affirme que le spinozisme est le résultat nécessaire de la méditation naturelle, ce n’est pas qu’on admette l’exactitude de ses démonstrations mathématiques, mais on croit que l’ensemble de cette conception du monde, en opposition avec la conception traditionnelle de la scolastique chrétienne, est le véritable but de toute spéculation sérieuse. Voici ce que disait l’ingénieux Lichtenberg : « Si le monde subsiste encore un nombre incalculable d’années, la religion universelle sera un spinozisme épuré. La raison, abandonnée à elle-même, ne conduit et ne peut conduire à aucun autre résultat (110). » Le spinozisme, qu’on doit épurer en lui ôtant ses formules mathématiques, où se cachent tant de conclusions erronées, n’est pas célébré comme un système final de philosophie théorique, mais comme une religion ; telle était bien la pensée réelle de Lichtenberg, qui, malgré son penchant vers un matérialisme théorique, avait l’esprit profondément religieux. Personne ne trouverait la religion de l’avenir dans le