Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/58

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Les premiers essais tentés pour s’affranchir de ces contradictions, pour acquérir une vue systématique du monde et pour échapper aux illusions ordinaires des sens, conduisent directement dans le domaine de la philosophie ; et parmi ces premiers essais, le matérialisme a déjà sa place (1).

Mais dès que la pensée commence à procéder logiquement, elle entre en lutte avec les données traditionnelles de la religion. Celle-ci a ses racines dans les conceptions essentielles les plus anciennes, les plus grossières, les plus contradictoires, que la foule ignorante ne cesse de reproduire avec une force irrésistible. Une révélation immanente communique à la religion un sens profond plutôt par la voie du sentiment que par celle de la perception claire et consciente, en même temps que la riche parure de la mythologie, la vénérable antiquité de la tradition, rendent la religion chère au peuple. Les cosmogonies de l’Orient et de l’antiquité grecque ne présentent pas plus de conceptions matérialistes que de conceptions spiritualistes ; elles n’essayent pas d’expliquer le monde au moyen d’un principe unique, mais elles nous montrent des divinités anthropomorphes, des êtres primordiaux tout à la fois matériels et spirituels, des éléments qui s’agitent dans le chaos, et des forces qui se livrent à des combats et à des créations variés au milieu d’incessantes vicissitudes. En face de cette fantasmagorie, la pensée qui s’éveille réclame de l’unité et de l’ordre ; aussi, toute philosophie est-elle entraînée à une guerre inévitable avec la théologie de son époque, guerre plus ou moins acharnée, plus ou moins latente, suivant les circonstances.

C’est une erreur de ne pas reconnaître l’existence et même l’intensité de tels conflits dans l’Antiquité hellénique ; mais il est facile de voir comment cette erreur a pris naissance.

Si dans un lointain avenir nos descendants n’avaient, pour juger toute notre civilisation actuelle, que les fragments de l’œuvre mutilé d’un Gœthe ou d’un Schelling, d’un Herder ou d’un Lessing, ils ne soupçonneraient guère les